Kalbotyra ISSN 1392-1517 eISSN 2029-8315

2021 (74) 35–48 DOI: https://doi.org/10.15388/Kalbotyra.2021.74.2

Mouvement vers le bas : (se) baisser

Joanna Cholewa
Université de Bialystok, Département de Linguistique française
Plac NZS 1
15-420 Białystok
Pologne
E-Mail : j.cholewa@uwb.edu.pl
ORCHID iD: https://orcid.org/0000-0002-0545-8470

Downward movement: (se) baisser ‘to fall’

Abstract. This article aims to disambiguate the French verb baisser, which describes the downward movement of an entity, and to present its conceptual structure. Our approach is strongly based on the belief that the meaning of the word is conceptual, and that it reflects the world being looked at, not the real world (Honeste 1999, 2005). Our interest will focus on the locative and abstract meanings of the chosen verb, the uses of which we will study. Each use is a set formed by a predicate, defined by its arguments whose field is delimited by the predicate itself (Gross 2015). Arguments are defined using object classes. Each use is illustrated by a single sentence and a translation into Polish, the translation being a synonym of a word in another language. The type of event described by the verb will be studied, taking into account:

Baisser has twelve uses (locative and abstract). Their invariant meaning is downwards movement, which is conceptualized in different ways: displacement of an entity downwards in physical space, but also as a decrease along a scale: of quantifiable value, of sound, of luminosity, intensity or quality, and finally of physical strength and of quality.
Keywords: disambiguation, motion verb, conceptualization, locative meaning, abstract meaning, object classes

__________

Submitted: 15/12/2020. Accepted: 10/04/2021
Copyright © 2021
Joanna Cholewa. Published by Vilnius University Press
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1 Introduction

Pour décrire différents sens des mots, il faut « mettre au point des descriptions adéquates et suffisamment précises pour éviter les doubles sens. Ce n’est qu’alors que les mots perdront leur ambiguïté » (Gross 2015, 19). Ces réflexions de Gaston Gross ouvrent notre article dont l’objectif est d’analyser le verbe baisser, en vue de le désambiguïser et d’en présenter la structure conceptuelle. Ce but pourrait paraître trivial, le verbe en question étant abondamment décrit et illustré dans les dictionnaires. Pourtant, le sens des verbes, et surtout de ceux que l’on nomme de mouvement, fait toujours l’objet d’intérêt des chercheurs qui en découvrent des aspects jusqu’alors inaperçus (par exemple, Aurnague, Stosic 2019). Les mots « ne sont ambigus que dans les dictionnaires », poursuit l’auteur déjà cité (Gross 2015, 19), « dans des phrases réelles, la plupart de ces mots n’ont qu’un seul sens. Cela veut dire que le contexte les rend monosémiques. Ce contexte ne peut pas être exclusivement syntaxique ».

Notre approche base fortement sur la conviction que la signification du mot est conceptuelle, et qu’elle rend compte du monde regardé, et non du monde réel. Les référents de ce dernier sont toujours perçus à travers le filtre des représentations véhiculées par la langue. La structure sémantique d’un mot est le résultat de ces représentations (Honeste 1999, 2005).

Nous allons utiliser la notion d’emploi, dont le sens a été emprunté à Gross (2015) : un emploi est un ensemble formé d’un prédicat, défini par ses arguments dont le champ est délimité par le prédicat même. L’environnement contrôlable pour un emploi sera une phrase simple, composée d’un schéma prédicatif (prédicat avec la suite la plus longue des arguments) et de son actualisation. Les arguments sont définis à l’aide des classes d’objets (Gross 2008, 2015) ; une classe d’objets est « un ensemble de substantifs, sémantiquement homogènes, qui détermine une rupture d’interprétation d’un prédicat donné, en délimitant un emploi spécifique » (Gross 2015, 20), une entité construite sur des bases syntaxiques et déterminée par la signification du prédicat. Le sens d’un emploi sera en plus mis en évidence par un synonyme, ainsi que par une traduction vers le polonais.

Chaque emploi se caractérise en plus d’un type de situation (Desclés 2003, 2005) et d’une polarité (Borillo 1998). Le verbe exprime une relation locative de polarité médiane quand la valeur de vérité de cette relation est vraie tout au long de la phase de déplacement (Pierre monte le long du mur), de polarité initiale quand cette relation est vraie pour la phase initiale du déplacement (Pierre est sorti de la chambre), mais devient fausse après le commencement du déplacement, et de polarité finale – quand cette relation n’est vraie que pour la phase finale du déplacement (Il est monté au sommet de la montagne). Concernant le type de situation, la situation cinématique décrit le mouvement spatio-temporel ou le changement de l’état attribué à un objet (par exemple, Jean est entré dans la chambre ou Nicole a maigri), et la situation dynamique non seulement exprime le mouvement ou le changement, mais aussi suppose un rôle d’agent qui rend ce mouvement/ changement possible (par exemple, Le vent sèche le linge, Pierre sèche le linge, Anne va à la maison).

Pour décrire les emplois, nous allons utiliser en plus le classement d’Aurnague (2012), qui a mis en interaction deux concepts : celui de changement de relation locative élémentaire (évalué par rapport à un point de repère, sélectionné par le verbe) et celui de changement d’emplacement (évalué par rapport à un cadre de référence terrestre). Selon ce classement, il existe quatre catégories de procès (et de verbes) :

(1) les verbes qui dénotent un simple changement d’emplacement, sans changement de relation locative élémentaire ; la mobilité de l’entité repérée dépasse ses propres limites et a lieu dans le cadre de référence terrestre ;

(2) les verbes combinant dans leur sémantisme le changement de relation locative élémentaire et le changement d’emplacement ;

(3) les verbes qui ne se caractérisent ni par le changement de relation locative élémentaire, ni par le changement d’emplacement ; ils n’impliquent aucun changement de relation par rapport a un repère et se limitent au cadre de référence matérialisé par la cible ;

(4) les verbes qui expriment un changement de relation locative élémentaire, sans impliquer le changement d’emplacement, verbes caractérisés par la relation de support/contact.

Changement
d’emplacement

Pas de changement d’emplacement

Pas de changement de relation locative élémentaire

1 : avancer, foncer, grimper, marcher, nager, patrouiller, zigzaguer...

3 : s’accroupir, s’asseoir, se recroqueviller, se blottir, se cacher, s’embourber, se ficher...

Changement de relation locative élémentaire

2 : aller + prép., arriver, partir, sortir, se rendre...

4 : se poser, toucher, frôler, s’immerger, sauter, bondir...

Tableau 1. Catégories de procès de mouvement/déplacement selon Aurnague (2012)

2 Analyse du verbe baisser

Dans le Trésor de la Langue française (TLFi), l’entrée baisser est divisée, conformément à l’esprit de ce dictionnaire, en emplois transitifs, pronominaux et intransitifs, dans le cadre desquels les sens se répartissent suivant les propriétés du sujet et de l’objet (personne, chose concrète : partie du corps, volume, dimension, intensité, valeur, etc.), et suivant le caractère de l’action (par exemple, ‘mettre plus bas’, ‘diminuer’, ‘incliner’). Dans chacun des trois groupes figurent des sens locatifs et non locatifs. Dans Les Verbes français (LVF), les sens de baisser sont répartis en dix entrées ; dans certaines, les verbes transitifs et intransitifs sont mis ensemble (par exemple, baisser 04 : On baisse les prix, la pression. Les prix, la pression baissent) ; évidemment, si les exemples diffèrent syntaxiquement, ils sont décrits séparément par des schémas adéquats.

Baisser est un verbe de mouvement et un verbe de déplacement, ce qui implique qu’à la fin du mouvement, l’entité repérée se trouve dans un lieu autre que celui du début de mouvement. Notre proposition est de diviser les sens de baisser en emplois locatifs (mouvement réel) et non locatifs (mouvement abstrait), en discernant dans chacun des deux groupes ceux qui décrivent une situation dynamique (mouvement contrôlé d’une entité) et cinématique (mouvement non contrôlé). Ensuite, les emplois seront caractérisés par la polarité (initiale/médiane/finale), catégorie de procès selon Aurnague, phrase simple (exemples) et traduction en polonais. Les phrases simples ont été puisées dans LVF et sur Internet (I) ou construites sur la base des exemples du TLFi et du Frantext. Dans ce dernier, nous avons fouillé le corpus prédéfini du 20e siècle, duquel le moteur de recherche a extrait 8432 occurrences. Nous en avons examiné 4000 premières, parmi lesquelles ont été prises en compte les six premières de chacun de lots de vingt-sept occurrences. Ensuite, chacune des phrases avec le verbe baisser a été ramenée à une phrase simple. Les traductions en polonais sont les nôtres, appuyées par des recherches dans la base textuelle de la langue polonaise Narodowy Korpus Języka Polskiego (NKJP).

2.1 Emplois locatifs

Les emplois locatifs décrivent le mouvement dans l’espace réel : soit un déplacement d’une entité LVF, appelé par Langacker (1987) mouvement objectif, soit un mouvement virtuel, appelé subjectif par Langacker, et fictif par Talmy (2000). Dans le cas du verbe baisser, le mouvement réel, objectif seul est exprimé.

2.1.1 baisser : ‘faire aller de haut en bas’

N0[humain] + baisser + N1[concret] (+ PrépN2)

LVF définit cet emploi par les synonymes abaisser, descendre (baisser 01), et TLFi le paraphrase par ‘mettre plus bas, diminuer la hauteur, faire descendre, faire aller de haut en bas’, en précisant que ‘l’objet désigne une chose concrète qui, avant le début de l’action envisagée, a une certaine dimension (surtout en hauteur) ou est placée à une certaine hauteur’. La caractéristique importante du type de mouvement analysé est que l’entité N1 ne se déplace pas en entier : sa partie bouge selon l’orientation verticale vers le bas, et l’entité reste « fixée » à un support, soit par son extrémité supérieure (le store, la herse), soit par celle inférieure (la vitre, le pont-levis), éventuellement par son extrémité latérale, comme c’est le cas d’un pavillon.

L’emploi analysé est traduit en polonais par deux couples perfectif/imperfectif : opuścić/opuszczać et spuścić/spuszczać. Pourtant, il ne semble pas que les collocations ainsi créées en polonais aient le sens identique, même si les définitions dictionnairiques des deux verbes (puisées dans Wielki Słownik Języka Polskiego : WSJP) sont similaires :

opuścić : faire qu’une chose se trouve plus bas (l’arme) ; diriger vers le bas (la tête) ;

spuścić : changer l’emplacement d’une chose pour la mettre plus bas (le store) ; diriger vers le bas (le regard).

À notre avis, le verbe spuścić indique qu’il s’agit du mouvement d’un objet qui va jusqu’à la position basse extrême, alors que dans le cas de opuścić, cet objet peut s’arrêter dans une des positions intermédiaires entre le haut et le bas : spuścić szybę (tout à fait) et opuścić szybę (un peu). Nous avons vérifié cette hypothèse en cherchant des collocations dans le corpus polonais NKJP. La plupart des compléments que s’attachent les deux verbes sont les mêmes. Pourtant, spuścić se construit en plus avec des compléments spécifiques, qui n’acceptent pas de position intermédiaire dans leur mouvement vers le bas : szalupa, łódź, trap, trumna, bomba (canot / embarcation de sauvetage, passerelle, cercueil, bombe). En plus, seulement pour opuścić/opuszczać, le dictionnaire mentionne comme collocation possible celle avec do połowy (à moitié), absente pour spuścić/spuszczać.

Cette différence s’estompe dans le verbe français. Par conséquent, il est plus prudent de proposer opuścić/opuszczać dans le cas de la traduction automatique, et accepter spuścić/spuszczać s’il est possible que l’intuition de l’homme s’assure du bon choix du verbe.

2.1.2 baisser : ‘mettre plus bas de’

N0[humain] + baisser + N1[concret] + de + N2[mesure]

Il est distingué dans LVF, mais absent dans TLFi, qui l’assimile probablement à l’emploi présenté dans 2.1.1. Ce qui le distingue dans notre démarche, à part le complément prépositionnel précisant la quantité, c’est le blocage de spuścić/spuszczać dans la traduction.

2.1.3 baisser : ‘incliner’

N0[humain] + baisser + N1[concret : partie du corps] (+ PrépN2)

Baisser ‘incliner’ ressemble beaucoup à ‘faire aller de haut en bas’ (2.1.1) : le sujet est humain, l’objet désigne une chose concrète (partie du corps) et cet objet bouge, tout en restant “fixé” à un support. Le TLFi le met à part, en lui donnant l’explication : ‘incliner, diriger vers le bas, c’est-à-dire vers le sol’, tandis que baisser la vitre ou baisser le pont-levis sont rassemblés, avec ceux qui décrivent la diminution du volume ou de l’intensité, sous ‘mettre à un niveau moins haut’. Les correspondants polonais de baisser + N1[concret : partie du corps] sont les mêmes que ceux de l’emploi [2.1.1] : opuścić/opuszczać et spuścić/spuszczać. Ainsi, on dira opuścić/opuszczać głowę, oczy, wzrok (baisser la tête, les yeux, le regard) ou spuścić/spuszczać głowę, oczy, wzrok. La traduction des autres collocations, proposées dans le TLFi, baisser le menton, le front, le nez se fait par les mêmes verbes, mais les collocations ainsi créées en polonais sont beaucoup plus rares :

opuścić/opuszczać brodę (baisser le menton) : trois occurrences, spuścić/spuszczać brodę n’est pas attesté dans NKJP ;

opuścić/opuszczać czoło (baisser le front) : cinq occurrences ; il y en a une pour spuścić/spuszczać czoło mais elle vient de Pan Tadeusz de Mickiewicz ;

opuścić/opuszczać nos (baisser le nez) ne s’utilise pas en parlant des humains, mais soit des animaux, soit de l’avion ; spuścić/spuszczać nos n’existe pas comme désignant un mouvement réel ; cette collocation est par contre très fréquente dans le sens figé, figuré : spuścić/spuszczać nos na kwintę (faire triste mine).

Trois expressions de ce type ont un caractère figuré, figé. Dans leur traduction en polonais il n’y a pas de verbes de mouvement : baisser la tête, le front ‘Se soumettre avec résignation’ (być przybitym), et baisser l’oreile ‘être découragé, paraître mortifié, confus’ (złożyć uszy po sobie, zmieszać się).

2.1.4 baisser : ‘descendre (vers)’

N0[concret : rideau, soleil, lune] + baisser (+ PrépN1)

Pour baisser ‘descendre (vers)’, le sujet est concret, mais limité à quelques entités seulement : soit le soleil ou la lune, soit le rideau au théâtre. C’est l’un des rares emplois de baisser pour lequel est possible la dérivation nominale : le baisser du soleil, le baisser du rideau (F : Roussel Raymond, Locus Solus, 1914). Les traductions des collocations relevant de cet emploi divergent, le verbe étant sélectionné selon l’argument. Ainsi, pour kurtyna ‘rideau’ deux verbes viennent en tête : spaść/spadać et zapaść/zapadać, pour księżyc ‘lune’ – zajść/zachodzić, alors que le sujet słońce ‘soleil’ en accepte plusieurs : słońce się chyli, zachodzi, zniża się, zapada, gaśnie, dont le dernier n’est pas un verbe de mouvement (gasnąć signifie ‘s’éteindre’).

2.1.5 baisser : ‘diminuer de niveau’

N0[concret : eau] + baisser

Le sens de baisser dans cet emploi bascule, dans la terminologie de Desclés, entre le mouvement et le changement : en effet, il y a mouvement, mais si prolongé dans le temps que presque inobservable. D’ailleurs, on pourrait s’interroger si l’eau baisse n’est pas une métonymie de le niveau de l’eau baisse. Dans les textes du XIXe siècle, nous pouvons trouver encore le fleuve baisse mais cette collocation n’est plus utilisée dans le français contemporain.

2.1.6 se baisser : ‘s’incliner vers’

N0[humain] + se baisser

La forme pronominale du verbe analysé n’exprime ni changement de relation locative élémentaire, ni changement d’emplacement (verbes appelés par Aurnague 2012 verbes de changement de posture ; ils n’impliquent aucun changement de relation par rapport à un point de repère et se limitent au cadre de référence matérialisé par l’entité repérée). La traduction de se baisser en polonais s’effectue par deux couples transitif/intransitif interchangeables : schylić/schylać się, pochylić/pochylać się.

2.2 Emplois non locatifs

Dans cette section seront présentés les emplois qui décrivent le mouvement abstrait, soit qui ne se réfère pas à un changement de situation dans l’espace physique. Lamiroy (1987) analyse de tels emplois des verbes de mouvement en termes d’extensions métaphoriques. Une entité abstraite y est conçue comme objet transportable dans l’espace : le prix ou le salaire baisse ou monte, la parole sort de la bouche de qqn, une idée vient à la tête, la chaleur tombe, etc. Pour Langacker (1987), le mouvement physique dans l’espace n’est qu’un cas particulier du mouvement, bien qu’il soit prototypique. Il parle du mouvement abstrait quand la conceptualisation abstraite est appliquée à des domaines non spatiaux, comme dans ces exemples avec le verbe aller : Roger alla de la lettre A à la lettre Z en 7 secondes, Jean va vers la ruine, Le concert alla de minuit à quatre heures du matin. Laskowski (1998) utilise le terme de mouvement dans l’espace abstrait (en polonais ‘ruch w abstrakcyjnej przestrzeni’) pour décrire le sens des phrases comme Towar idzie na sprzedaż ‘la marchandise va à la vente’ ou Konferencja zmierza ku końcowi ‘le colloque touche à sa fin’, littéralement : ‘le colloque se dirige vers sa fin’. Desclés (par exemple 1993, 2005) parle plutôt de changement : pour le représenter, les langues utilisent une représentation spatiale, qui nous fait passer d’un ensemble des qualités à un autre.

2.2.1 baisser : ‘diminuer la valeur quantifiable’

N0[humain] + baisser + N1[abstrait : quantifiable] (+PrépN2[abstrait : mesure])

La diminution envisagée porte sur une valeur que l’on peut exprimer en quantité. Ce type d’emploi peut s’adjoindre un SPrép de type de : de 10 %, de 2 degrés, de moitié, etc.

2.2.2 baisser : ‘diminuer, décroître’

N0[abstrait : quantifiable] + baisser (+ PrépN1[abstrait : quantité])

La mise à part de l’emploi intransitif se justifie non seulement par le fait que le type de situation change (dynamique vs cinématique), mais aussi parce que change la traduction (obniżyć/obniżać dans 2.1.1 vs spaść/spadać). Le SPrép du même type que dans la section 2.2.1 est possible.

2.2.3 baisser : ‘diminuer l’intensité d’une valeur physique’

Dans cette section, nous avons regroupé les emplois qui ont trois propriétés sémantiques en commun : le sujet est humain, il s’agit de la situation dynamique, d’un mouvement à polarité médiane. Ce qui les distingue, c’est la nature de N1, qui influe sur la traduction en polonais.

a) ‘diminuer la sonorité’

N0[humain] + baisser + N1[abstrait : valeur acoustique]

b) ‘diminuer la luminosité’

N0[humain] + baisser + N1[abstrait : lumière]

Les traductions sont dans ce champ sémantique les plus divergentes. Le verbe varie selon N1 :

baisser la lumière – ‘przygasić/przygaszać światło’

baisser le gaz, le feu, la flamme ‘zmniejszyć/zmniejszać gaz, ogień, płomień’

baisser le gaz, une lampe, la mèche – ‘przykręcić/przykręcać gaz, lampę, knot’

En ce qui concerne les noms de sensations physiques et d’affects, ils sélectionnent les verbes autres que baisser pour désigner la diminution. Ainsi, on dira diminuer/réduire la douleur, diminuer/réguler sa tension, gérer/maîtriser sa colère. Par contre, la forme dérivée baisse apparaît aisément dans ce champ sémantique : baisse d’énergie, de moral, de libido1.

2.2.4 baisser : ‘diminuer’

Cette section englobe les emplois qui décrivent une situation cinématique de polarité médiane. La nature de N0 influe sur le choix du verbe polonais correspondant. Nous avons donc distingué quatre cas, selon que N0 est une valeur acoustique, une lumière, un nom abstrait possédant la propriété [+intensité] ou un nom abstrait avec la propriété [+qualité]. Nous n’avons pas trouvé d’exemples illustrant ce type d’emploi pour N0 ‘sensation physique’ ou ‘affect’, même si de tels noms subissent une diminution en intensité.

a) ‘diminuer en sonorité’

N0[abstrait : valeur acoustique] + baisser

b) ‘diminuer en luminosité’

N0[abstrait : ‘lumière’] + baisser

Concernant la traduction, il faut mettre à part le syntagme le jour baisse où le mot jour est synonyme de lumière, qui exige une traduction différente : dzień się kończy, dzień się chyli, ściemnia się.

c) ‘diminuer en force/ en intensité’

N0[abstrait : +intensité] + baisser

d) ‘diminuer en qualité’

N0[abstrait : ‘qualité’] + baisser

2.2.5 baisser : ‘faiblir physiquement’

N0[humain] + baisser (+ PrépN1)

2.2.6 baisser : ‘perdre qualité’

N0[humain] + baisser + Prép [dans] N1

3 En guise de conclusion

L’invariant de baisser est le mouvement vers le bas : tous les emplois l’expriment, mais il est conceptualisé de différentes manières : tout d’abord comme un déplacement d’une entité vers le bas dans l’espace physique (dans le cas des emplois locatifs), mais aussi comme une diminution suivant une échelle : de la valeur quantifiable (2.2.1 et 2.2.2), de la sonorité, luminosité, intensité ou qualité (2.2.3 et 2.2.4), enfin de la force physique (2.2.5) et de la qualité (2.2.6).

Pourtant, quelques questions et doutes s’imposent, suite à l’analyse effectuée. L’emploi 2.1.1, comprend-il un seul emploi ou deux emplois, puisqu’il y a deux traductions possibles ? Selon nous, c’est le même emploi, mais le polonais conceptualise de deux manières les procès qui en relèvent. La traduction ne peut pas à elle seule constituer un critère discriminatoire pour distinguer différents emplois, elle ne peut qu’être subsidiaire. Cette remarque concerne également les emplois abstraits 2.2.3 et 2.2.4. La multiplicité des verbes en polonais pourrait-elle s’expliquer par le procédé de lexicalisation qui aurait eu lieu dans cette langue ?

L’analyse de baisser dessine aussi quelques autres voies de recherche, dans l’esprit monolingue et/ou comparatif. Du point de vue comparatif, il est intéressant que peu de correspondants polonais des emplois abstraits de baisser sont des verbes de mouvement vers le bas (nous avons observé le contraire en analysant le verbe tomber : Cholewa 2017). Quatre verbes de ce type sont sélectionnés, dérivant de deux racines : opaść/opadać, spaść/spadać, obniżyć/obniżać się et zniżyć/zniżać. Les autres sont, dans la plupart, des prédicats d’intensité : (o)słabnąć, pogarszać/pogorszyć się, (po)starzeć się, (s)tracić, (u)cichnąć, ściszyć/ściszać, przygasić/przygasać. Il serait intéressant de procéder à une étude de corpus des oeuvres françaises contemporaines traduites en polonais pour voir quels choix effectuent les traducteurs, en puisant dans cet inventaire.

Sources

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NKJP : Narodowy Korpus Języka Polskiego. nkjp.pl/

TLFi : Trésor de la Langue Française informatisé. atilf.atilf.fr/

WSJP : Wielki Słownik Języka Polskiego. www.wsjp.pl

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