Kalbotyra ISSN 1392-1517 eISSN 2029-8315

2021 (74) 268–285 DOI: https://doi.org/10.15388/Kalbotyra.2021.74.14

Les marqueurs discursifs du français : un regard croisé sur une catégorie controversée

Elena Vladimirska
University of Latvia
Faculty of Humanities
Department of Romance Studies
LV-1050 Visvalža st 4a
Riga, Latvia
E-Mail: jelena.vladimirska@lu.lv
ORCHID iD: https://orcid.org/0000-0003-0729-1958

Jelena Gridina
University of Latvia
Faculty of Humanities
Department of Romance Studies
LV-1050 Visvalža st 4a
Riga, Latvia
E-Mail: jelena.gridina@lu.lv

Daina Turlā-Pastare
University of Latvia
Faculty of Humanities
Department of Romance Studies
LV-1050 Visvalža st 4a
Riga, Latvia
E-Mail: daina.turla-pastare@lu.lv

Discourse Markers of French: Multifaceted Look at a Controversial Category

Abstract. In this paper, we discuss the question of discourse markers (DM) a category conceived differently by theoretical and applied linguistic approaches. Unlike in applied approaches, in which DMs are considered desemantized/grammaticalized lexical units devoid of their own semantics and therefore of status in the language, we consider DMs to constitute a full-fledged category of language, having its own semantics and distribution, both of which play a crucial role in the construction of discourse (Paillard 2011, 2012; Franckel 2008, 2019). This hypothesis has been developed in theoretical linguistics and has seen little evidence from a perspective of the acquisition and didactics of foreign languages. Based on cross-analysis of linguistic theories (Benveniste 1974; Ducrot 1980; Hopper & Traugott 1993; Culioli 1990,1999; Franckel & Paillard 2008) and on distributional analysis of data of the spoken corpora, we show that the absence of specific linguistic status for DMs has repercussions at the didactic and acquisition levels: DMs are generally approached in an ad hoc manner, all functions combined, which leads on the one hand to gaps in the acquisition of French and, on the other hand, to the ambiguity of criteria for evaluation. Therefore, at the level of applied linguistics, we suggest the integration of DMs in the learning path as a full category, an integration that must be carried out on several axes semantic, syntax and prosodic – and be based on an authentic oral corpora of the spoken language. At the theoretical level, we use transversal analysis in order to give yet another argument in favor of a semantical-enunciative approach to discursive markers.
Keywords: discourse markers, semantics, enunciation, oral corpora, language acquisition

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Submitted: 01/02/2021. Accepted: 10/04/2021
Copyright © 2021
Elena Vladimirska, Jelena Gridina, Daina Turlā-Pastare. Published by Vilnius University Press
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1 Introduction

Les marqueurs discursifs (MD) font l’objet de nombreuses recherches en linguistique et en pragmatique. Cependant, en linguistique appliquée, les études les concernant sont relativement peu nombreuses, notamment dans le domaine de l’acquisition des langues étrangères (Paillard & VuThi 2012 ; Ruggia 2014 ; Tran, Tutin & Cavalla 2016 ; Fant & Hancock 2015 ; Aijmer 2004 ; Bearzi 2016).

Cela s’explique par le fait que les MD sont considérés comme les éléments linguistiques secondaires par rapport au noms, verbes, adjectifs, etc., voire comme des mots ‘parasites’ qui brouillent notre message, trahissent notre maladresse, agacent l’interlocuteur, et dont il faut donc se méfier. En effet, les petits mots tels que style, genre, voilà, donc, quoi, du coup, etc. sont si fréquents dans la parole – surtout chez les jeunes – qu’ils en méritent le nom de ‘tic de langage’. Amplifiés par l’effet de mode, ils deviennent une caractéristique spécifique d’une génération entière.

Sans méconnaître le phénomène de l’emploi excessif de certains MD, nous nous inscrivons en faux contre l’hypothèse selon laquelle ces mots seraient désémantisés et n’auraient aucun contenu sémantique, n’étant que des ‘béquilles’ pour un locuteur en difficulté. Pour nous, tout au contraire, les MD constituent une classe centrale dans la construction du discours en touchant à « l’un des ressorts fondamentaux du fonctionnement du langage » (Paillard & Franckel 2008, 257). Nous insistons, par conséquent, sur leur place incontournable dans l’acquisition des langues étrangères, dans la mesure où ils présentent un des éléments essentiels pour le développement chez l’apprenant de la compétence liée à l’expression orale et la gestion d’une interaction. (Delahaie 2012 ; Bearzi 2016).

Notre objectif est ainsi d’engager une réflexion sur les MD et leur place dans l’acquisition et la didactique des langues étrangères. Dans cette perspective, nous allons aborder, dans un premier temps, la problématique des MD d’un point de vue linguistique. Ensuite, nous passerons en revue les méthodes de FLE (Français langue étrangère) afin de révéler la place qu’elles accordent aux MD et les approches dont relève leur présentation dans les manuels. Finalement, nous analyserons le corpus de production orale des apprenants de FLE de différents niveaux, allant de B1 à C2, afin de comparer l’usage qu’ils font des MD avec les données du corpus oral des français natifs1. Lors de l’analyse de la production orale, nous nous référerons par ailleurs aux critères du Cadre européen commun de référence pour les langues d’une part, et aux commentaires des évaluateurs d’autre part.

Ce regard croisé nous permettra, nous l’espérons, de mettre en rapport le traitement des MD en linguistique d’une part et en linguistique appliquée d’autre part, d’éclairer des tendances actuelles dans chacun de ces domaines, ainsi que de révéler d’éventuelles carences méthodologiques influençant l’acquisition des MD.

2 Les MD en linguistique : état de la question

L’intérêt des linguistes pour les MD est lié au tournant que prend l’histoire de la linguistique, marqué par l’émergence de la théorie de l’énonciation de Benveniste. Désormais, l’étude de la langue comme système est enrichie par une étude des mécanismes de la mise en fonctionnement de ce système par un acte individuel d’utilisation (Benveniste 1974, 80). Selon Benveniste, le locuteur s’approprie l’appareil formel de la langue et énonce sa position de locuteur par des indices spécifiques :

L’acte individuel de l’appropriation de la langue introduit celui qui parle dans sa parole. La présence du locuteur à son énonciation fait que chaque instance de discours constitue un centre de référence interne. Cette situation va se manifester par un jeu de formes spécifiques dont la fonction est de mettre le locuteur en relation constante et nécessaire avec son énonciation. (Benveniste 1974, 82)

Les MD font désormais partie de ces formes qui articulent, d’une part, le dire et le monde et, d’autre part, l’énonciateur et le coénonciateur, en construisant un espace intersubjectif spécifique. Un programme de recherche qui s’est révélé extrêmement fructueux dans le domaine a été lancé par Ducrot. Ducrot part de l’idée que tous les énoncés d’une langue se donnent comme imposant à l’interlocuteur un type déterminé de conclusion. Ainsi, la fonction de même dans l’énoncé Même Pierre est venu, ne se limite pas à un rajout d’information à Pierre est venu. Pour Ducrot, on ne saurait dire Même Pierre est venu si on n’a pas l’intention d’utiliser cette venue pour prouver le succès de la réunion. « Il est essentiel à même que la proposition où il est inséré soit utilisée comme un argument – argument présenté comme fort et éventuellement, dans certains contextes, comme décisif. » (Ducrot 1980 (a), 16). Il s’agit donc d’une recherche de la « logique du langage », c’est-à-dire « de règles internes au discours, et commandant son enchaînement » (Ducrot 1980 (a), 12). La théorie de l’argumentation et celle de la polyphonie ont constitué ainsi un cadre pour les études détaillées des mots du discours2 (mais, décidemment, eh bien, d’ailleurs, justement, enfin etc.) en tant que marqueurs de l’attitude du locuteur vis-à-vis de ce qu’il dit, vis-à-vis de celui à qui il s’adresse, ou encore relevant de l’organisation que le locuteur veut donner à son discours en fonction de la conclusion visée. Comme on le voit, dans cette approche, les MD ne sont pas destinés à apporter des informations, mais à marquer le rapport du locuteur à la situation : l’analyse de leur valeur requiert par conséquent, l’examen détaillé de la situation.

La théorie de la grammaticalisation (Hopper & Traugott 1993) a donné un nouvel essor à l’étude des MD dans le cadre de la pragmatique. Ils sont désormais massivement étudiés en tant qu’unités lexicales désémantisées et accomplissant des fonctions pragmatiques diverses : reformulation, approximation, intensification, évaluation, etc.

Pourtant, les notions de désémantisation et de pragmaticalisation posent, comme le note Franckel (2019), la question du « seuil de renoncement au maintien d’une pleine identité de l’unité » (ibid. 34)

Ces unités lexicales sont en effet souvent décrites comme présentant un sens premier (sens propre, sens basique), généralement associé à un sens concret et immédiatement appréhendable dont dérivent de façon plus ou moins accessible à l’intuition des valeurs considérées comme abstraites, figurées, métaphoriques, jusqu’à des emplois où se perd tout lien intelligible et encore moins explicable avec le sens premier. C’est en particulier le cas des emplois décrits comme faisant l’objet de processus de grammaticalisation, de désémantisation ou de figement dans des expressions formant un bloc où semble se perdre toute possibilité de reconstitution de l’identité de l’unité, du rôle singulier de chacun des éléments de ce bloc et de la façon dont elles se combinent. (ibid. 34)

En effet, un tel traitement des MD n’est pas sans raison : ils constituent incontestablement une classe extrêmement hétérogène, incluant les formes adverbiales (vraiment, effectivement, naturellement), verbales (disons, écoute, tiens), conjonctions (mais, donc), locutions (en quelque sorte, en fait, pour ainsi dire), etc. Par ailleurs, les inventaires des MD proposés varient considérablement aussi bien pour une même langue, que d’une langue à l’autre (Paillard 2011, 13–14). Finalement, l’hétérogénéité terminologique complique encore plus l’appréhension des MD. Pour ne citer que quelques-uns des termes qui les désignent : connecteurs discursifs ; mots du discours ; confirmation seekers ; turn takers ; topic switchers ; hesitation markers ; commentary pragmatic markers ; particules discursives ; ponctuants ; ligateurs énonciatifs ; etc.

Tous ces facteurs contribuent à une vision instrumentalisée des MD, considérés comme des outils communicatifs sans plus, dépourvus de leur sémantique propre et donc du statut dans la langue. L’impact de cette approche est particulièrement sensible dans les méthodes de FLE dans lesquelles on fournit aux apprenants des listes de marqueurs censés accomplir telle ou telle fonction pragmatique. Nous reviendrons sur ce sujet dans la partie consacrée à l’analyse des méthodes d’enseignement des MD.

Notre approche se situe dans le cadre de la théorie des opérations énonciatives développée par A. Culioli (1990, 1999) et appliquée par Paillard et Franckel à la description des MD (Paillard & Franckel 2008 ; Paillard 2011 ; Franckel 2019). Ainsi, l’énonciation pour nous « n’est pas l’acte d’un sujet qui développe en toute liberté sa stratégie visant à mettre en mots sa pensée et, par là même, à agir sur son interlocuteur » (Paillard 2011, 16), mais « un processus que l’on restitue à partir de l’énoncé en tant qu’agencements de formes » (ibid.) Dans cette perspective, les MD participent à l’entreprise de la construction du sens de l’énoncé au même titre que les autres constituants. Ils constituent ainsi une catégorie de langue à part entière, qui peut être définie par une sémantique spécifique et un ensemble de propriétés correspondant à leur distribution (position dans l’énoncé : initiale/médiane/finale ; détachement/non détachement prosodique, portée)3.

Parmi les MD il y a ceux qui n’ont pas d’autre statut catégoriel (par exemple, forcément), et ceux qui ont un double statut, par exemple, celui de l’adverbe et celui du MD (naturellement, déjà) ou bien celui du verbe et celui du MD (disons, tu vois). Ainsi, naturellement dans elle a des cheveux naturellement bouclés est un adverbe : on peut le paraphraser comme de façon naturelle. Alors que dans naturellement, il n’est pas venu la périphrase ne marche pas : naturellement a comme portée un énoncé entier, et se trouve être un MD. La sémantique du MD est déterminée par la sémantique de l’élément lexical qui constitue sa base : malheur – malheureusement, naturel – naturellement, vrai – vraiment, etc. À partir de cette sémantique le MD spécifie la proposition qui constitue sa portée, lui attribue un statut discursif. Par exemple, naturellement MD confère à la séquence (p) qui est sa portée (il n’est pas venu) un statut particulier qui consiste à présenter ce qui ‘est le cas’ comme étant déterminé, a priori, par l’ordre du monde extérieur au discursif. La sémantique du naturel renvoie à ce qui existe par un processus naturel, sans intervention humaine et, par conséquent, court-circuite toute subjectivité – l’énonciateur se présente comme n’ayant aucune prise sur ce qui se passe. A ce titre il se désinvestit en tant que garant de son dire.

Certes, à l’oral, le MD peut devenir un ‘tic de langage’. Cela a été le cas de Jacques Chirac connu pour son usage excessif de naturellement. Mais peut-on vraiment parler d’une unité désémantisée lorsqu’on lit/entend des propositions telles que « Il y a en France, naturellement, une très bonne justice (…) ». 4 ? Ou encore, « Sur son palier d’HLM, ledit travailleur voit une famille entassée avec le père, trois ou quatre épouses et une vingtaine de gosses, qui touche 50 000 francs de prestations sociales sans, naturellement, travailler 5 ? ». On aurait plutôt l’impression qu’on cherche à nous présenter, comme étant naturelles, des choses qui, en réalité, ne le sont pas du tout. Il n’est pas difficile de noter que lorsqu’on remplace le MD naturellement par un autre MD en -ment dans le même contexte, le statut discursif de l’énoncé change : il y a en France, vraiment, une très bonne justice ; il y a en France, réellement, une très bonne justice. Ainsi, au lieu de parler de la désémantisation nous parlerons des variations sémantiques, et appliquerons aux MD la thèse que Franckel formule comme ceci : « l’identité d’une unité se retrouve dans tous les emplois de l’unité, y compris dans les expressions figées et (que) l’identité sémantique des différentes unités en jeu dans ces unités y est à l’œuvre à part entière » (Franckel 2019, 35).

Dans ce qui suit, nous ferons un aperçu des approches méthodologiques des MD proposées dans les manuels de FLE afin d’y révéler quelques répercussions des débats linguistiques mentionnés ci-dessus.

3 Les MD : question d’acquisition

Pour mener à bien l’objectif fixé, nous avons sélectionné les méthodes récentes de FLE, éditées en France, à savoir : Alter Ego + (Hachette) (20112015), Cosmopolite (Hachette) (20182020), Edito (Didier) (20172019).

Ces méthodes s’inscrivent dans une perspective actionnelle l’une des approches privilégiées à l’heure actuelle pour l’enseignement des langues étrangères (Martinez 2011 ; Beacco 2007). En définissant l’apprenant comme un ‘acteur social’, ces méthodes mettent en avant la dimension pragmatique et sociale de la langue, y compris les variations et les normes d’interactions (Bearzi 2016). L’analyse de ces méthodes nous a permis de mettre en évidence certains points saillants concernant la présentation des MD.

Ainsi, les MD y apparaissent tantôt comme éléments grammaticaux, dans les encadrés dédiés à la grammaire, tantôt faisant partie des entraînements phonétiques et prosodiques. Ils n’apparaissent jamais comme une catégorie à part entière, et sont souvent rattachés à leurs parties du discours de départ, par exemple, adverbes (vraiment, franchement, enfin) ou conjonction. Par conséquent, ils ne sont introduits dans les méthodes que par le biais de leurs fonctions, par exemple pour marquer l’ordre chronologique (enfin, finalement), ou une appréciation (franchement, vraiment, assez, un peu).

Par ailleurs, nous avons révélé les MD dans les documents authentiques et semi-authentiques oraux (émission radiophoniques, interview, dialogues). Les MD sont présents dans les transcriptions des enregistrements audio, par exemple : euh ; bon ; ben ; hein etc., pour tous les niveaux, avec une quantité augmentée pour les niveaux avancés (B2C1, C2), sans que leurs valeurs soient explicitées ou même mentionnées.

A des niveaux avancés, les MD sont généralement abordés sous forme de listes de mots avec une ouverture à la production orale. Par exemple les MD Genre ? ; Eh ! ; Dis donc ! sont listés sous la fonction Exprimer sa surprise ! (Edito C1 2018), suivis de la tâche suivante : Réagissez au rêve de votre ami(e) avec des expressions d’étonnement ou d’enthousiasme (Edito C1 2018). Or, le marqueur genre étant difficilement associé à une expression d’étonnement et encore moins à celle de l’enthousiasme, sa présence sur la liste des MD proposés est confusante. Les MD eh et dis donc n’expriment l’étonnement que lorsqu’ils sont réalisés avec une intonation bien spécifique. Ainsi, comme le montre cet exemple, ni la sémantique, ni les variations en fonction de l’intonation ou de la position des MD ne sont prises en compte.

Dans les cas où les MD apparaissent dans les rubriques dédiées à la phonétique, comme, par exemple, celle de Sons et intonation (Cosmopolite 3 2018) ils n’y constituent pas un objet de l’acquisition, le visé étant les phénomènes phonétiques du français : les groupes rythmiques, le déplacement de l’accent et les accents d’insistance. L’exemple suivant est tiré de la méthode Cosmopolite 3 dans laquelle on propose aux apprenants d’exercer l’accent d’insistance dans les expressions du mécontentement :

(1) Écoutez et soulignez les syllabes accentuées. Puis répétez les phrases en utilisant des gestes et des mimiques pour accompagner votre expression. ‘Exemple : C’est fou ! C’est vraiment fou ! C’est vraiment complètement fou !’ (Cosmopolite 3 2018, 34)

Une certaine mise en rapport des MD avec leurs fonctions est suggérée néanmoins dans l’activité qui suit :

(2) Réécoutez le dialogue en regardant la transcription. Repérez les hésitations et les interrogations. ‘Exemple : Euh... Je ne suis pas vraiment convaincu => hésitation’. (Cosmopolite 3 2018, 53)

Ceci dit, ce ne sont pas les MD qui sont visés dans cette activité, mais plutôt des modalités énonciatives, étant donné que des hésitations figurent à côté des interrogations.

Après cette brève analyse, nous pouvons constater un manque d’attention portée sur les MD et leur usage, alors que leur emploi effectif dans de nombreux ‘documents déclencheurs’ authentiques ou semi-authentiques est bien notable. Cette lacune de l’enseignement des MD est, selon nous, étroitement liée à leur statut grammatical mal défini. Privés de leur sémantique propre, les MD sont rattachés aux différentes parties du discours, sans former une classe à part. Cette ambiguïté a un impact sur leur présentation dans les méthodes et l’absence des études systématiques des MD dans les manuels de FLE.

Dans ce panorama général, nous voulons cependant distinguer deux approches méthodologiques dans lesquelles les MD trouvent leur place adéquate.

La première est proposée dans l’ouvrage collectif (Paillard & VuThi 2012) qui présente une application didactique de la théorie des MD proposée par Paillard et qui avait été exposée dans la partie précédente de notre article. Les auteurs exploitent les contextes des MD à partir des exemples afin de construire un parcours de la découverte des MD du point de vue sémantique et syntaxique. Visant le public universitaire de niveau A2B2, les auteurs proposent deux parcours méthodologiques pour aider la transposition didactique des MD du français : a) une présentation globale des MD avec des explications simplifiées et contextualisées des différentes catégories de marqueurs, à l’usage des enseignants de FLE ; b) une aide méthodologique à la transposition didactique des fiches linguistiques, centrée sur des groupes de marqueurs en apparence proches (Delahaie 2012, 205). Leur démarche méthodologique se base sur les recommandations suivantes :

a) Travailler sur des couples de marqueurs (par exemple en fait/de fait) ;

b) Faire des recherches de fréquence des marqueurs ;

c) Opérer plusieurs degrés de transposition didactique (l’étude sémantique et syntaxique, les recherches de contextes, selon les besoins des apprenants, élaboration de fiches pédagogiques).

L’approche proposée constitue le premier pas vers l’apprentissage des MD en tant que catégorie de la langue à part entière. Cependant, les fiches pédagogiques proposées, étant adaptées aux étudiants en linguistique, sont difficilement accessibles aux apprenants non-linguistes, vite découragés par la terminologie savante.

Le deuxième axe de recherches qui gagne en popularité dans le domaine de la didactique de langues, consiste en l’intégration des corpus de la langue parlée dans le parcours d’apprentissage. A ce propos, nous aimerions citer la plateforme CLAPI-FLE dédiée à l’apprentissage des interactions en FLE (Ravazzolo & Etienne 2019). Cette plateforme a pour objectif de sensibiliser les apprenants et les enseignants aux spécificités de l’oral par le biais de nouvelles ressources, à savoir :

d) des collections d’illustrations en contexte d’un fait de langue, qu’il soit lexical, grammatical ou syntaxique ;

e) des fiches explicatives ou mini cours pour documenter une entrée thématique (question, remerciements, atténuateurs, discours rapporté, etc.) dans toutes ses dimensions : lexicales (expressions et marqueurs), prosodiques, syntaxiques, pragmatiques, multimodales et interculturelles (Ravazzolo & Etienne 2019, 5).

L’importance et le fonctionnement des marqueurs discursifs dans l’interaction orale sont explicités dans ces ressources pédagogiques innovantes. Selon les auteures, ces petits mots, en général peu fréquents dans les dialogues pédagogiques des méthodes, prolifèrent dans les conversations à l’oral et peuvent remplir de nombreuses fonctions au sein de l’interaction (Ravazzolo & Etienne 2019, 10). Or, cet outil a été également conçu pour un public cible universitaire et n’a pas été adapté aux apprenants n’ayant pas un parcours linguistique académique.

Ainsi, nous pouvons constater que les MD sont loin de constituer une priorité parmi les sujets abordés dans les méthodes de FLE. Cependant, un autre constat s’impose : les apprenants acquièrent les MD de façon autonome, par un effet de mimétisme, à peine commencent-ils à communiquer avec les français natifs. Sans que ces unités de la langue leur soient enseignées, les apprenants en parsèment abondamment leur parole, et ceci non seulement aux niveaux supérieurs, mais aussi aux niveaux intermédiaires. Il s’en suit que les MD sont nécessaires pour la structuration de la parole, pour la fluidité et en tant que marque ‘d’aisance’ linguistique, selon laquelle on reconnaît un bon niveau de maîtrise d’une langue étrangère. Nous nous sommes donc interrogés sur les MD acquis en autodidacte : les natifs et les non natifs emploient-ils les MD de la même façon ? Quelles sont les fonctions des MD les plus requises dans la parole des non natifs ? La combinatoire des MD est-elle comparable dans les deux cas ? Dans cette perspective, nous allons aborder, dans ce qui suit, des exemples tirés du corpus de l’interlangue des apprenants, en les confrontant aux exemples du corpus des français natifs.

4 Les MD : données du corpus

Notre corpus se compose d’entretiens avec des locuteurs natifs et des locuteurs du français L2 d’un niveau intermédiaire B1B2 à un niveau avancé C1C2. Les enregistrements sont divers et consistent de discussions spontanées, d’entretiens semi-dirigés et de dialogues lors des épreuves orales.

Le premier constat qui s’impose à la suite de l’analyse du corpus est que quantitativement, les données relatives à la fréquence des MD chez L1 et L2 sont très proches, surtout au niveau avancé. Qualitativement, les MD qui sont les plus fréquents dans les deux cas ne varient pas considérablement non plus : les ‘favoris’ sont les mêmes – enfin, voilà, donc, euh… Cependant, l’analyse a révélé aussi des régularités permettant de distinguer l’emploi des MD dans les corpus L1 et L2. Ces régularités sont de deux ordres :

f) celles qui sont liées à la place d’un MD, et relatives à sa sémantique mal intégrée – on appellera ce cas ‘emploi erroné’ ;

g) celles qui sont liées aux contextes marqués par la difficulté de formulation, et où l’usage des MD par les francophones non natifs relève de l’hésitation de ces derniers quant à la forme grammaticale choisie ou une syntaxe de l’énoncé.

Ce deuxième cas de figure est plus subtil, parce que le corpus L1 révèle également une grande quantité de MD dans les contextes liés à la problématique de la mise en mots. Cependant, le choix et la fréquence des marqueurs, ainsi que leur combinatoire permet, selon nous, de distinguer la contrainte supplémentaire causée par le français de référence dans le corpus L2.

Nous allons illustrer par quelques exemples le cas des emplois erronés de MD et, ensuite, le cas où l’usage des MD relève de l’hésitation concernant la conformité du dire du locuteur au français de référence.

Le premier cas de figure est plus caractéristique pour des locuteurs d’un niveau intermédiaire, sans qu’il soit totalement absent chez les locuteurs des niveaux avancés. Prenons l’exemple des MD bien et donc, qui occupent, selon Chanet la sixième et la deuxième place respectivement, parmi les MD les plus fréquents (Chanet 2003, 85109) :

(3) spk61 : vous avez pu étudier des CV que je vous ai transmis - spk2 : oui bien j’ai reçu

(4) spk1 : qu’est-ce que vous en pensez ? quel candidat préférez-vous - spk2 : donc je pense que je préfère le candidat numéro deux

Dans l’exemple (3) l’énoncé oui bien j’ai reçu est mal formé. En effet, bien étant une trace de l’identification à un terme préconstruit, ce MD a besoin d’un terme de départ (Péroz 2010) qu’il n’a pas dans l’énoncé spk2. Par ailleurs, la valeur de confirmation n’est propre au MD bien qu’en position médiane (cf oui, je les ai bien reçus) alors que dans spk2 il est en position initiale.

Le marqueur donc en position initiale de l’énoncé (exemple 4) est une erreur récurrente des locuteurs L2 : la sémantique discursive de donc, étant par ailleurs un marqueur de ‘procédure’ qui établit une relation de consécution entre deux termes, consiste à relancer une recherche du terme préétabli dans la chaîne antérieure du discours (Culioli 1990, 175). Par conséquent, il ne peut pas marquer la prise de parole (contrairement à alors ou bon).

Le deuxième cas de figure est plus fréquent chez les locuteurs d’un niveau avancé et révèlent une certaine hésitation concernant la conformité de leur dire au français de référence. Cette hésitation peut se manifester soit sur le plan lexical (choix du mot adéquat, hésitation quant au genre ou à l’accord), soit sur le plan syntaxique. Les exemples (5) et (6) sont tirés du corpus des locuteurs d’un niveau avancé (C1C2) ayant l’expérience d’un long séjour en France. Dans l’entretien semi-dirigé ils parlent des difficultés linguistiques rencontrées lors de leurs séjours respectifs.

(5) spk1 : des des codes de de la culture de les des d’où je viens lettone ou russophone peu importe (en)fin de ma culture qui qui qui vient et qui s’expriment à travers c’est donc déjà euh (...)

(6) spk1 : ça va apparaître et donc là ça les choque et c’est là+7  c’est là euh c’est là qu’ils me voient comme un être comme tu dis euh j’sais plus étrange

(7) spk2 : c’était décevant ? - spk1 : c’était déjà ++ voilà c’était décevant c’était que déjà de par rapport au langa ++ ge c’est-à-dire que c’était on parlait en en français + que j’ai appris en fait/j’ai déjà le maîtrise au niveau où j’peux nuancer pas mal mes propos et du coup j’ai du mal j’ai du mal à dire j’me dis est-ce que qu’est-ce que j’veux dire vraiment et et donc ça c’est plus dur mais mais bon fin c’est juste un exemple

On note ici avant tout une fréquence importante des MD et leur combinatoire variée incluant des séquences de deux-trois marqueurs – une des caractéristiques de l’oral des locuteurs L1 (ex. 7 : mais bon (en)fin). Un autre trait rapprochant ce corpus de celui de L1 sont les répétitions des mots grammaticaux – prépositions, articles, pronoms, etc. – lorsque le locuteur cherche à formuler sa pensée (ex. 5 : des des codes de de la culture ; qui qui qui vient). Ce procédé est propre à l’oral et a été bien mis en évidence par Claire-Blanche Benveniste (1997). Cependant, on note aussi des séquences qui passent moins bien, même si dans le flot de la parole elles peuvent passer inaperçues pour l’interlocuteur (ex. (5) : de les des d’où je viens lettone ou russophone peu importe (en)fin de ma culture). Les incertitudes du locuteur ici dépassent le niveau habituel d’un locuteur L1 portant aussi bien sur les déterminants que sur l’organisation syntaxique générale de l’énoncé.

Dans l’exemple (6) : c’est là + c’est là euh c’est là qu’ils me voient l’allongement de la voyelle de la première occurrence de repris deux fois de suite avec euh d’hésitation au milieu est aussi atypique pour l’oral français dans la mesure où l’on est à la fin du préambule juste avant le début du rhème. Dans l’exemple (7) c’était que déjà de par rapport au langa ++ ge c’est-à-dire que c’était on parlait en en français, le locuteur est tout le temps en train de reconstruire son énoncé : un tel degré d’incertitude quant à la syntaxe n’est pas observable dans nos corpus des locuteurs L1.

C’est aussi au niveau avancé que nous constatons chez les apprenants l’usage excessif des MD qu’on traite généralement de ‘tic de langage’ (ex.8, L2 niveau C1) :

(8) spk1 : mhm euh voilà donc++ ok donc notre+++ agence donc+ on prendra contact avec des hôpitaux régionaux pour voir comment résoudre donc ce problème votre demande euh++ voilà donc euh++ vous disiez en rendez-vous pour §oui oui oui§ mhm

Il est intéressant que l’usage même excessif de donc dans le corpus du locuteur L1 relève, contrairement à (8) de sa sémantique : donc construit une relation de consécution dans la chaîne du discours en renvoyant au terme préétabli (ex.9) :

(9) spk1 : j’prends plus trop la voiture en fait parce que je j’en ai pas besoin la semaine ceci dit j’la prends quand même parce que + malheureusement la crèche et les écoles sont éloignées euh sont éloignées donc euh je prends la voiture le matin parce qu’on est pressés et sinon (mm) ça fait perdre trop de temps + (mm) donc j’prends la voiture j’la ramène +++ donc c’est vrai quand j’avais pas d’parking c’était le problème de s’retrouver une place de payer tout ça (...)

Ainsi, l’analyse du corpus montre que malgré leur quasi absence dans les manuels de FLE les MD sont acquis par les apprenants par effet de mimétisme et sont largement utilisés dans leur parole. Néanmoins, on observe des usages erronés de MD dus à l’incompréhension de leur sémantique et de leur distribution. Lorsque le locuteur en difficulté s’en sert en guise de ‘béquilles’, ils ne sont pas toujours à la bonne place et trahissent une incertitude linguistique du parlant. Cependant, cet usage des MD par les locuteurs L2 est proche de celui qu’en font les locuteurs L1 : dans le discours de ces derniers, ces MD marquent la difficulté de la mise en mots – problématique qui n’est naturellement pas spécifique qu’aux apprenants des langues mais propre à toute activité de la parole.

Dans la partie suivante, nous allons étudier la question des MD du point de vue des évaluateurs de l’expression orale.

5 Les MD sous le prisme des critères d’évaluation de l’expression orale

Le CECRL définit les aspects qualitatifs de l’utilisation de la langue parlée. Parmi ces aspects qualitatifs le CECRL recense : l’étendue, la correction, l’aisance, l’interaction et la cohérence. C’est notamment dans ces critères que l’on peut reconnaître le rôle des marqueurs discursifs comme des vecteurs assurant l’ancrage pragmatique et la mise en mots. Comme mentionné dans la partie 1, les MD sont de principaux ressorts servant à la construction du discours et, marquant l’attitude du locuteur envers son dire, envers le monde et envers le dire qu’il prête à l’autre. Les MD contribuent ainsi à la construction d’un flot naturel, à la fluidité du discours et à l’aisance, assurant le passage des tours de paroles dans l’interaction. Ils constituent donc un relais important dans l’interaction et la production orales, et font l’objet de l’évaluation de la langue parlée.

Cependant, les critères d’évaluation révèlent une certaine ambiguïté à leur égard. Ce qui brouille en effet les pistes du processus d’évaluation, c’est qu’à l’absence d’un statut grammatical reconnu des MD s’ajoute, par ailleurs, leur « mauvaise réputation » du fait de pouvoir fonctionner comme des ‘tics de langage’.

Pour analyser l’attitude des évaluateurs à l’emploi des MD, nous nous référons aux productions orales illustrant les 6 niveaux du CECRL pour le français, recueillies sous forme de DVD et suivies de commentaires (France Education International, 2008). Dans ce document sont illustrées et commentées les productions orales de jeunes apprenants de 13 à 18 ans, selon tous les critères du CECRL, ce qui nous permet d’avoir une vision globale du rôle des MD dans l’évaluation de chaque critère ainsi que dans la définition des niveaux de langue selon le CECRL. Pour cet article, nous avons sélectionné les exemples de la production et de l’évaluation des niveaux B1–C2.

L’analyse du corpus montre que de façon générale, les MD sont vus comme des éléments renvoyant à la langue familière, à la langue ‘trop’ parlé, contraire au ‘bon usage’, et dont l’acquisition s’effectue par immersion, à la suite d’échanges avec des natifs.

Ainsi, dans l’exemple 10, le commentaire de l’évaluateur est positif, les MD relevant pour lui de l’étendue. Le fait d’être ‘en immersion’ est également valorisé.8

(10) Étendue (B1). Descriptif : Possède assez de moyens linguistiques et un vocabulaire suffisant pour s’en sortir avec quelques hésitations et quelques périphrases sur des sujets tels que la famille, les loisirs et centres d’intérêts, le travail, les voyages et l’actualité.

Commentaire de l’évaluateur : A un vocabulaire suffisant pour s’en sortir dans le monologue (mais il s’agit de description et non pas de récit)...a même des expressions qui montrent qu’il est en immersion : ‘En fait...ça marche ...comme je l’ai déjà dit...mais bon.... on est jeune....’

En ce qui concerne le niveau B2, dans certains cas l’emploi des MD est, au contraire, pénalisé. Ainsi, pour le candidat du niveau B2+, on trouve le commentaire suivant :

(11) Cohérence (B2). Descriptif : Peut utiliser un nombre limité d’articulateurs pour lier ses phrases en un discours clair et cohérent bien qu’il puisse y avoir quelques « saut » dans une longue intervention. 

Commentaire de l’évaluateur : Nicolas utilise un nombre limité d’articulateurs.En fait, je crois que. Je crois en fait, Et puis voilà ça fait des tensions’ Il y a en effet des sauts dans le monologue avec les arrêts avant la fin de la phrase des enchaînements que l’on arrive à suivre à l’oral avec l’image parce qu’il y a les gestes et les mimiques et l’intonation mais dont les discontinuités sont marquées dans la transcription. Cela correspond aussi aux marques de l’oral. Le discours n’est pas académique.

Ce qui est remarquable dans le commentaire ci-dessus, c’est que l’évaluateur note un manque d’enchaînement et une discontinuité, tout en disqualifiant les ‘marques de l’oral’ – une contradiction apparente dans les critères de l’évaluation.

Pour les niveaux C1C2 l’incidence des MD est plutôt bien accueillie.

(12) Étendue (C2). Descriptif : Montre une grande souplesse dans la reformulation sous des formes linguistiques différentes lui permettant de transmettre avec précision dans les nuances fines de sens afin d’insister, de discriminer ou de lever l’ambiguïté. A aussi une bonne maîtrise des expressions idiomatiques et familières.

Commentaire de l’évaluateur : Ainsi dans le monologue, un exemple de recherche de termes plus précis pour illustrer son argumentation : (En fait l’école est un endroit où les jeunes se rassemblent ...en fait l’école est un moyen pour lutter contre la violence et si on apprend à vivre ensemble.....[...] Andreas utilise un certain nombre d’expressions propres à l’oral assez naturellement ainsi que les expressions idiomatiques.(En fait...euh....ça sonne un peu chrétien mais bon......Et donc, euh, oui, voilà, en fait...).

Ces exemples montrent que les MD sont impliqués dans tous les aspects qualitatifs de la langue parlée, à savoir étendue, aisance, interaction, cohérences.

Néanmoins, ils ne sont mentionnés ni dans les descriptifs, ni dans les commentaires des évaluateurs, et figurent sous le nom de ‘marques de l’oral’. Par conséquent, les critères d’évaluation se chevauchent et, dans certains cas, l’usage des MD est pénalisé, alors que dans d’autres, il est évalué positivement. Cela rend flagrante l’ambiguïté du statut des MD au niveau de l’évaluation.

Nous pouvons ainsi conclure que les MD font l’objet d’une évaluation, sans être enseignés d’une façon systématique, sans avoir une présentation claire et explicite dans les méthodes. Etant les principales marques du discours perçu comme ‘naturel’ et proche des natifs, ils sont acquis essentiellement lors de l’immersion et présentent pour les évaluateurs une marque de l’oral. Les fonctions des MD relevant de différents contextes discursifs, tels que les difficultés de formulation, les hésitations, les reformulations, etc. ne méritent pas l’attention des évaluateurs et sont sous-estimées.

Cette brève analyse n’est pas, bien entendu, exhaustive, notre but étant de relier la problématique de l’enseignement des MD à leur évaluation, qui est souvent le résultat de tout parcours d’apprentissage.  Ce questionnement mérite une recherche plus approfondie, à partir de corpus plus représentatifs. Néanmoins, nous avons pu disséquer, nous semble-t-il, les ambiguïtés du statut des MD aussi bien au niveau de l’enseignement et de l’apprentissage qu’au niveau de l’évaluation.

Conclusions

L’objectif de notre article a été d’engager une réflexion autour de la question des marqueurs discursifs – catégorie conçue diversement selon les démarches théoriques et didactiques. On peut conclure que l’absence du statut propre des MD a une répercussion à tous les niveaux étudiés : au niveau méthodologique, de l’apprentissage et de l’évaluation. De par l’absence d’une approche systématique dans les méthodes de FLE, les MD sont généralement abordés d’une façon ponctuelle et aléatoire, toutes fonctions confondues, ce qui conduit d’une part à des lacunes dans l’acquisition du français et, d’autre part, à l’embrouillage des critères de l’évaluation de l’expression orale aux épreuves de français langue étrangère.

Par conséquent, nous voyons l’intégration des MD dans le parcours d’apprentissage comme une catégorie à part entière. L’intégration didactique des MD devrait se faire, à notre avis, sur plusieurs axes, à savoir, sémantique, syntaxique et prosodique, et s’appuyer sur le corpus oral authentique de la langue parlée en tant qu’élément déclencheur. Éléments clés dans la construction de la position de l’énonciateur, les MD, lorsqu’ils sont acquis, conditionnent l’aisance linguistique du locuteur, la cohérence et l’étendue de son discours. Le recours à des MD pourrait par ailleurs compenser certains déficits langagiers et pallier les carences en production orale. Dans cette optique, on voit l’utilisation des MD en tant que stratégie compensatoire, c’est-à-dire une stratégie liée aux techniques permettant d’être « fonctionnel » malgré des carences langagières (Treville & Duquette 1996, 76).

L’élaboration des méthodes pratiques de l’enseignement des MD constitue, selon nous, une perspective envisageable de la présente recherche.

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2 Terme introduit par Ducrot dans Les mots du discours, 1980 (b).

3 Pour une étude détaillée des MD voir Franckel, J.-J. et Paillard, D. (2008), Paillard, D. et VuThi, N. (2012), N0 207 de Langages (2017), Vladimirska, Khachaturyan (2015), Vladimirska (2016, 2017, 2019).

4 J. Chirac, Intervention télévisée, Paris, le 14 juillet 1998.

5 le 19 juin 1991, à Orléans. à une réunion-débat avec des militants du parti gaulliste. https://www.leparisien.fr/politique/chirac-et-le-bruit-et-l-odeur-les-dessous-d-une-phrase-qui-fait-tache-27-09-2019-8161077.php

6 spk : speaker ici et plus loin dans le texte.

7 + : marque de l’augmentation de la durée.

8 Dans les exemples qui suivent, chaque critère est d’abord illustré par un descriptif, suivi de commentaires de l’évaluateur.