Literatūra ISSN 0258-0802 eISSN 1648-1143

2021, vol. 63(4), pp. 25–31 DOI: https://doi.org/10.15388/Litera.2021.4.2

Le voyage comme une quête d’identité dans le roman Voyage de noces de Patrick Modiano

Vytautas Bikulčius
Département de philologie française
Institut des études anglaises, classiques et françaises
Université de Vilnius
Department of French Philology
Institute of English, Romance and Classical Studies
Vilnius University

Email : vytautasbikulcius@yahoo.fr
ORCID iD http://orcid.org/0000-0002-5500-5322

Résumé. L’article qui est basé sur la méthodologie de la géocritique analyse le voyage comme une quête d’identité dans le roman Voyage de noces (1990) de l’écrivain français, du lauréat du Prix Nobel de la littérature Patrick Modiano. Le voyage est conçu comme une quête d’identité parce que les personnages du roman changent à partir des lieux où ils se retrouvent. Le voyage a plusieurs formes : il peut être tout simplement un voyage d’un point à l’autre, parfois il prend un aspect de la fuite et finalement il peut être conçu comme une déportation au camp de concentration. Dans tous les cas le voyage échange l’identité des personnages du roman. Le narrateur du roman avoue qu’il veut écrire une biographie d’Ingrid. Dans ce cas-là il part pour le voyage dans le monde intérieur d’Ingrid, et, naturellement, que ce voyage dure beaucoup plus longtemps que n’importe quel voyage d’un point à l’autre. Les lieux dans le roman peuvent appartenir au centre ou bien à la périphérie, c’est-à-dire, la capitale et ses lisières ou bien la capitale et les provinces du pays. Le narrateur essaie de comprendre le destin d’Ingrid, en méme temps son identité change aussi : il devient écrivain.
Mots-clés : Modiano, l’identité, le voyage, la géocritique.

Kelionė kaip identiteto paieška Patricko Modiano romane Povestuvinė kelionė

Anotacija. Straipsnyje, remiantis geokritikos įžvalgomis, analizuojama kelionė kaip savimonės paieška prancūzų rašytojo, Nobelio literatūros premijos laureato Patricko Modiano romane Povestuvinė kelionė (1990). Kelionė suvokiama kaip savimonės paieška, nes romano personažai keičiasi priklausomai nuo tam tikrų vietovių, kuriose jie atsiduria. Kelionė išryškėja keliais pavidalais: tai gali būti paprasčiausia kelionė iš vieno taško į kitą, kartais ji įgyja pabėgimo aspektą ir, galiausiai, gali būti suvokiama kaip deportacija. Visais atvejais kelionė keičia romano personažų savimonę.

Pasakotojas prisipažįsta, kad nori parašyti romano veikėjos Ingridos biografiją. Taigi jis leidžiasi į kelionę po jos vidinį pasaulį ir, suprantama, ši kelionė užtrunka daug ilgiau negu įprastas persikėlimas iš vieno taško į kitą. Romane minimos vietovės dažniausiai suvokiamos kaip centras ir periferija, t. y. kaip šalies sostinė ir jos pakraščiai arba sostinė ir šalies provincija. Romano pasakotojas stengiasi suprasti Ingridos gyvenimo posūkius ir likimą, kartu keičiasi ir jo paties savimonė – jis tampa rašytoju.
Reikšminiai žodžiai: Modiano, savimonė, kelionė, geokritika.

A Journey toward Self-knowledge in Patrick Modiano’s Novel Voyage de Noces

Summary. In this paper, based of a geocritical approach, a journey as some path leading toward self-knowledge in the novel of Patrick Modiano, French writer and Nobel Prize winner, Voyage de noces (1990), has been analyzed. A journey is understood as a path that leads toward self-knowledge because the characters of the novel undergo changes depending on the place they find themselves in. This journey gains several forms: it can simply be a journey from one point to another, also can have the aspect of escapism and finally be understood as deportation. In all these cases the nature of the journey changes depending on how the characters perceive themselves. The narrator admits that his aim is to write the autobiography of Ingrida, the character of the novel. Thus he sets out on a journey through her inner world, that naturally will last longer than the one from one point to another. The places are generally depicted as central and peripheral, the capital of the country and its outskirts or the capital and the regions of the country. The narrator tries to understand changes in Ingrida’s life and her faith, at the same time changes in the author’s self-knowledge happen: he becomes a writer.
Keywords: Modiano, self-knowledge, journey, geocritic.

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Received: 02/12/2021. Accepted: 16/12/2021.
Copyright © Vytautas Bikulčius, 2021. Published by Vilnius University Press.
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Dans l’oeuvre abondante de Patrick Modiano un certain nombre de romans se distingue par l’intérêt principal de l’auteur à l’Histoire, à la période de l’Occupation et de la Collaboration. L’auteur lui-même a éprouvé ce sentiment de responsabilité qui tout de suite après la guerre n’était pas partagé par les officiels. Avec ses premiers romans Place de l’Étoile (1968), La Ronde de nuit (1969), Les Boulevards de ceinture (1972) l’écrivain cherche une autre voie que les auteurs de la littérature textualiste des années soixante-dix et d’une manière ou de l’autre fait rappeller le passé de l’Occupation. De nouveau et avec la force nouvelle ce thème apparaît dans le roman Voyage de noces (1990).

Dans une interview Patrick Modiano a avoué que son roman Voyage de noces « est une littérature de marginaux, mal à l’aise, avec des problèmes d’identité. […] …on est un peu condamné à une littérature où les gens recherchent leur identité » (Maury 2013). On voit que l’auteur accentue le problème d’identité dans ce roman. Mais il est intéressant que la quête d’identité des personnages de ce roman est en partie liée avec le voyage.

La fondation théorique de notre communication est basée sur les travaux de Bertrand Westphal, Vincent Descombes, Bruno Blanckeman, Jean-Marc Lecaudé. Alors notre but sera d’étudier comment le voyage devient un des moyens de la recherche de l’identité dans le roman Voyage de noces. Le premier objectif de notre article sera d’analyser les différentes variétés du voyage. Le deuxième objectif de notre étude sera d’examiner comment les différentes variétés du voyage influencent l’identité des personnages. Dans notre article nous nous appuyons sur la méthode de la géocritique.

Le titre du roman Voyage de noces accentue non seulement un voyage concret vers un endroit choisi, mais aussi souligne le rôle et le but de ce voyage parce que les noces représentent un événement important dans la vie de l’homme. En même temps il faut ajouter que le voyage de noces est toujours effectué par deux personnes. On verra plus tard que dans ce roman le voyage de noces acquiert une caractéristique bien spécifique.

Le représentant de la méthode de la géocritique Westphal affirme que « [l]e voyageur ne se cantonne plus dans le seul spectacle sensible du monde. Il se rend compte de la qualité abstraite des espaces qu’il parcourt ; il instaure une véritable réflexion sur la nature des espaces humains. En définitive, l’espace paraît aussi hétérogène » (Westphal 2007, 46). On peut dire que l’hétérogénéité de l’espace dans le roman de Modiano tout d’abord est basée sur l’opposition du centre et de la périphérie. Au début du roman, nous voyons que le narrateur Jean B. se trouve à Milan et doit attendre pendant quatre heures le train pour Paris. Pour tuer le temps, il visite le bar de l’hôtel et il apprend du barman qu’une Française s’est suicidée il y a deux jours dans une chambre de cet hôtel. Cette femme était de Paris. Plus loin l’action du roman nous persuade que le centre du roman devient Paris qui est liée non seulement avec cette femme mais aussi avec le narrateur.

Si l’on parle de l’opposition entre le centre et la périphérie dans un espace, naturellement un des moyens qui aide à lier ces points différents devient un voyage qui est conçu comme un déplacement d’une personne pour un lieu éloigné. Dans le cas du roman de Modiano, le voyage devient en même temps une possibilité de concevoir son identité. Vincent Descombes affirme que « [l]’individu se définit en déclarant ce qui, à ses yeux, fait partie de son identité. Mais ce qui fait partie de son identité, c’est cela dont lui-même fait partie. En représentant ses liens humains comme des composantes de son identité, il fait valoir que son droit à la satisfaction subjective en tant que particulier l’autorise à inclure le fait de son individuation contingente dans sa définition de lui-même » (Descombes 2013, 253–254).

Dans le roman de Modiano, le voyage est présenté sous divers aspects. Si le voyage est conçu habituellement comme un déplacement d’une personne, on peut dire que la fugue qui signifie l’action de s’enfuir du lieu où l’on vit constamment peut être aussi appréciée, elle-aussi comme un voyage parce qu’elle est liée aussi avec le déplacement. Enfin dans le roman on trouve la déportation comme une sorte de déplacement mais dans ce cas-là elle est déjà liée avec la violence. Plus tard on verra que tous ces aspects du voyage aident à définir l’identité des personnages.

Le narrateur Jean B. se présente comme explorateur qui doit partir pour le Brésil et y tourner un film documentaire. En même temps il trouve que le mot d’explorateur est devenu désuet parce qu’ « [i]l n’ y avait plus de terre vierge à explorer » (Modiano, 17). Mais accompagné par sa femme et ses amis à l’aéroport, il se dirige vers le terminal d’où l’on part pour Milan au lieu de prendre le vol pour le Brésil et joindre l’équipe d’explorateurs à Rio de Janeiro. Alors on voit qu’à vrai dire le narrateur réalise une fugue parce qu’il quitte sa femme et ses amis « avec la pensée qu’[il] ne les reverrai[t] plus de [s]a vie » (idem, 18). Il avoue qu’il sentait depuis son enfance « le besoin de fuir » (idem, 19). Mais en même temps on voit que sa fugue devient spécifique parce que le narrateur ajoute que « ...dans cette avion qui me ramenait à Paris, j’avais l’impression de fuir encore plus loin que si je m’étais embarqué, comme je l’aurais dû, pour Rio » (idem, 19). Alors la question se pose : pourquoi le voyage de retour de Milan devient plus long que celui pour Rio ?

Pour répondre à cette question, il faut attirer l’attention que le narrateur se présente aussi comme écrivain parce qu’il veut écrire une biographie d’Ingrid. En même temps il avoue à son ami Ben Smidane qu’il écrit ses mémoires. Dans ce cas-là on peut dire qu’il devient explorateur de l’âme humaine. Naturellement, le voyage au sein de l’âme humaine devient plus long que celui entre les deux points géographiques même séparés par la plus grande distance. Ce n’est pas par hasard que le narrateur avoue que son projet d’écrire une biographie d’Ingrid dure déjà dix ans. C’est aussi le temps pendant lequel il tente de comprendre sa vie. Sattar Jabbar Radhi, l’auteur de la thèse sur l’œuvre de Modiano, a raison quand il affirme qu’« [é]crire l’histoire des autres signifie d’une certaine façon l’écriture de sa propre histoire » (Sattar 2015, 310). Autrement dit, le voyage devient une quête d’identité non seulement pour Ingrid, mais aussi pour le narrateur Jean. En même temps, on voit que le voyage au sein de l’âme humaine n’est pas facile et le narrateur hésite entre deux modes de la présentation de la vie d’Ingrid dans sa biographie : à quoi doit-il faire la préférence – à l’ensemble de sa vie ou aux détails : « J’ai éprouvé un vague remords : un biographe a-t-il le droit de supprimer certains détails, sous prétexte qu’il les juge superflus ? Ou bien ont-ils tous leur importance et faut-il les rassembler à la file sans se permettre de privilégier l’un au détriment de l’autre, de sorte que pas un seul ne doit manquer, comme dans l’inventaire d’une saisie ? A moins que la ligne d’une vie, une fois parvenue à son terme, ne s’épure d’elle-même de tous ses éléments inutiles et decoratifs. Alors, il ne reste plus que l’essentiel : les blancs, les silences et les points d’orgue » (Modiano, 53–54). Ses mots témoignent qu’il est difficile à exprimer l’essentiel parce que celui-ci se cache entre les lignes de la biographie. Mais il est clair que pour comprendre son héroïne et sa vie, le narrateur doit accomplir le voyage intérieur à la place d’Ingrid Teyrsen qui, à propos, l’incite à le faire : « Je me souviens qu’elle s’était tue à ce moment-là et que son regard prenait une drôle d’expression, comme si elle voulait me transmettre un fardeau qui lui avait pesé depuis longtemps ou qu’elle devinait que moi aussi, plus tard, je partirais à sa recherche » (idem, 153). Il faut savoir que lors de leur dernière rencontre Ingrid a donné au narrateur qu’elle connaissait à peine et pourtant se fiait à lui une coupure de journal. La coupure présentait une annonce de son père : « On recherche une jeune fille, Ingrid Teyrsen, seize ans, 1,60 cm, etc… Adresser toutes indications à M. Teyrsen, 39 bis, boulevard Ornano. Paris » (idem, 153). Cette adresse est liée avec une déportation possible de son père parce que quand Ingrid était venue dans ce quartier pour lui dire qu’elle voulait se marier avec Rigaud, le patron de l’hôtel lui a expliqué que la police l’avait emmené dans une direction inconnue. Jean-Marc Lecaudé a raison d’affirmer que « …ce fardeau que le narrateur accepte d’elle semble le condamner au même destin que son amie » (Lecaudé 2007, 248). Alors on peut dire que le voyage se présente comme une quête d’identité non seulement d’Ingrid mais aussi du narrateur Jean B.

On voit que dans le roman le dernier point du voyage d’Ingrid est Milan où elle termine sa vie par un suicide. Mais le narrateur comprend tout de suite que cette ville comme une périphérie par rapport à Paris joue un rôle accidentel dans le destin d’Ingrid : « Elle était venue mourir ici par hasard. C’était à Paris qu’il fallait retrouver ses traces » (Modiano, 19). Il est intéressant que le narrateur trouve ces traces aussi à la périphérie de Paris, dans l’appartement du boulevard Soult, au 12 ͤ arrondissement. Ayant loué cet appartement qui n’était pas occupé depuis longtemps, il trouve dans un tiroir de la table une enveloppe avec un feuillet de l’avis aux locataires avec la date de 1942. Ce feuillet l’aide à entrer dans le passé d’Ingrid et en même temps à fixer sa propre place dans cette histoire. Bruno Blanckeman souligne qu’ « [e]ntrant en communication avec les morts, le narrateur s’identifie à eux, leur prête un corps de signes, les réanime au sens littéral du terme : il leur attribue voix et présence » (Blanckeman 2009, 123). On peut dire que l’adresse indiquée sur ce feuillet (place de l’Étoile avec entrée rue de Tilsitt, 3) désigne un endroit précis où commence pour le narrateur la vraie histoire d’Ingrid. C’est aussi le début de son voyage dans le temps, mais non le début du roman. Dans ce cas, un lieu acquiert une caractéristique identitaire parce qu’il est lié avec un voyage ou plutôt avec fugue qui avait été effectuée par Ingrid. Après avoir quitté le cours de danse Ingrid ne rentre plus à l’hôtel où elle habite avec son père : « Elle eut le pressentiment que si elle s’engageait sur le boulevard à la suite de ceux qui rentraient dans le dix-huitième, la frontière se refermerait sur elle pour toujours » (Modiano, 127). Pour Ingrid, cette fugue apportera son futur amour Rigaud, un jeune homme de vingt ans, un étudiant et un champion universitaire du ski et celui-ci l’hébergera pour quelques nuits dans son appartement qu’il devait déjà quitter. Mais ce lieu devient aussi la rencontre du narrateur avec Histoire parce que maintenant il peut révéler les sources de l’histoire d’Ingrid.

On voit que la fugue d’Ingrid garantit pour elle non seulement sa vie sauvée, mais aussi son futur mari Rigaud parce que si elle était rentrée à l’hôtel, elle aurait pu être déportée comme son père. Mais après plusieurs années quand Ingrid revient dans ce quartier où elle habitait avec son père, elle comprend que « [c]e sentiment de vide et de remords vous submerge, un jour » (idem, 158). On peut dire que ce sentiment l’amène peut-être vers le suicide : « Mais il (le sentiment – V. B.) finit par revenir en force et elle ne pouvait pas s’en débarrasser » (idem, 158).

Comme nous savons le narrateur commence son histoire par une fugue. Il quitte son domicile et se retrouve dans les hôtels aux portes de Paris où il logeait avec sa femme Annette au début de leur vie conjugale. À propos, il avoue que toute sa vie n’était qu’une fuite. En même temps il explique pourquoi il a choisi les quartiers périphériques de Paris : « Ils étaient un refuge, loin de l’agitation du centre, et un tremplin vers l’aventure et l’inconnu » (idem, 96). Si la fugue d’Ingrid promet pour elle une vie sauvée tout d’abord et la vie nouvelle (plus tard elle a épousé Rigaud), la fuite du narrateur ouvre pour lui une nouvelle possibilité, il devient écrivain. Naturellement, c’est une certaine aventure pour lui qui quand même se réalise parce que nous pouvons lire ce roman. Nous pouvons constater que finalement la fuite se présente comme un voyage de la quête identitaire d’Ingrid et du narrateur.

Il faut constater que le voyage devient un moyen pour le narrateur de faire la connaissance d’Ingrid et de Rigaud : en 1965 il revient de Vienne (qui est la ville natale d’Ingrid) en France et se retrouve à la gare de Saint-Raphaël sur la Côte d’Azur pour aller à Saint-Tropez ; ici il arrête une voiture conduite par Ingrid parce qu’on l’avait volé et il est resté sans argent. Il a été même hébergé par Ingrid et Rigaud pour quelques jours.

Plus tard le narrateur a découvert qu’en 1942 Ingrid et Rigaud après avoir quitté Paris ont réussi à franchir la ligne de démarcation en fraude et sont venus à Juan-les-Pins. On peut dire que tous les deux ils sont partis du centre à la périphérie de la France. À cette époque-là Ingrid n’avait que seize ans mais elle portait une fausse carte d’identité qui la vieillissait de trois ans. Sur cette carte d’identité Ingrid a été nommée comme épouse Rigaud mais ils n’avaient pas de certificat de mariage civil et seulement à Juan-les-Pins quand un inconnu à l’hôtel s’était renseigné de leurs vacances, Rigaud avait décidé de se marier religieusement avec Ingrid. Quand Rigaud avoue franchement au concierge : « Ce n’est pas ma femme… Je lui ai procuré de faux papiers… Il fallait qu’elle quitte Paris… » (idem, 73), on peut dire que ce voyage de noces est faux parce qu’ils avaient quitté Paris tout d’abord pour sauver la vie d’Ingrid.

On sait que le narrateur a quitté sa femme et s’est installé à la périphérie de Paris. Mais pour un vrai explorateur ce déplacement est un faux voyage parce qu’il est habitué à les effectuer pour des pays lointains. Si Ingrid et Rigaud se marient religieusement à Juan-les-Pins et deviennent mari et femme réellement, le narrateur se trouvant à la lisière de Paris devient écrivain. En réalité les deux voyages – celui d’Ingrid et de Rigaud et celui du narrateur sont des fuites. Mais il faut ajouter encore un lien qui lie Ingrid et le narrateur. Si à Juan-les-Pins Ingrid avait épousé Rigaud, ici le narrateur a fait connaissance de sa future femme Annette. Alors Sattar a raison quand il dit que « [l]es lieux revêtent… cette importance singulière tant ils sont des témoins de l’Histoire » (Sattar 2015, 199).

Donc, on voit que dans ce roman les lieux sont liés avec l’Histoire et avec les histoires des personnages concrets. Grâce à eux se révèlent l’identité d’Ingrid, liée avec la période noire de l’Histoire du pays et en même temps l’identité du narrateur qui en présentant le destin d’Ingrid devient écrivain.

Enfin le narrateur visite l’immeuble où l’hôtel existait auparavant et où Ingrid logeait avec son père. Il découvre que c’est un immeuble comme les autres. Il se rappelle qu’Ingrid après avoir visité ce quartier lui a avoué qu’elle avait éprouvé un sentiment de vide. Il ne peut non plus donner la garantie qu’il restera avec sa femme Annette parce qu’il éprouve aussi ce sentiment de vide.

Enfin on voit que le narrateur lie l’existence des personnes qui sont disparues (Ingrid, son père, Rigaud) avec les lieux qu’il et les immortalise de telle façon. Alors on peut dire que grâce au voyage et aux lieux, le narrateur assume son identité de l’écrivain.

Après avoir analysé le roman Voyage de noces, nous pouvons faire les conclusions suivantes :

1.  Le voyage est conçu comme une quête d’identité dans le roman Voyage de noces parce qu’il est toujours lié avec de lieux différents qui sont incarnés par les personnages.

2.  Dans le roman le voyage se révèle en quelques aspects : un voyage comme un déplacement, un voyage comme la fuite et un voyage comme la déportation.

3.  Un lieu peut appartenir au centre ou à la périphérie. Les événements principaux sont liés avec la périphérie qui joue un rôle sauveur pour les protagonistes.

4.  Le désir de comprendre le destin d’Ingrid fait évoluer l’identité du narrateur : il devient écrivain.

Littérature

Blanckeman, Bruno. 2009. Lire Patrick Modiano. Paris: Armand Colin.

Descombes, Vincent. 2013. Les embarras de l’identité. Paris: Gallimard.

Lecaudé, Jean-Marc. 2007: Patrick Modiano: le narrateur et sa disparition ou qu’y a-t-il derrière le miroir? Patrick Modiano. J. E. Flower, dir. Amsterdam, New York: Rodopi, 239–256.

Maury, Pierre. 2013. Patrick Modiano en long et en large. Available at: http://journallecteur.blogspot.com/2013/05/patrick-modiano-en-long-et-en-large.html. Accessed: 17 May 2020.

Modiano, Patrick. 2015. Le voyage de noces. Paris: Gallimard.

Sattar, Jabbar Radhi. 2015. La quête identitaire chez les personnages romanesques de Patrick Modiano. Entre fiction et histoire. Thèse de doctorat. Université Lumière Lyon 2.

Westphal, Bertrand. 2007. La géocritique. Réel, fiction, espace. Paris: Les Éditions de Minuit.