Taikomoji kalbotyra, 15: 1–8 eISSN 2029-8935
https://www.journals.vu.lt/taikomojikalbotyra DOI: https://doi.org/10.15388/Taikalbot.2021.15.1

L’évolution sémantique et syntaxique des conjonctions en français : le cas de ains

Swietłana Niewzorowa
Département de La linguistique
Université de Szczecin (Pologne) / University of Szczecin
Aleja Piastów 40b
71-064 Szczecin, Pologne
e-mail : swietlana.niewzorowa@usz.edu.pl

Résumé. L’étude que l’on voudrait présenter ici s’inscrit dans le courant des recherches diachroniques consacrées aux conjonctions. En ancien français, tous les linguistes attestent l’usage courant de deux conjonctions adversatives ains/mais. Mais en français moderne, le lien adversatif n’est assuré que par une seule conjonction adversative, à savoir : mais. Les raisons du déclin rapide de la conjonction ains ne sont pas claires et le temps de sa disparition n’est pas précis non plus. Dans le cadre de cet article, l’auteur focalise son attention sur l’analyse de l’évolution sémantique de ains à partir de l’ancien français jusqu’au XVIIe siècle, c’est-à-dire jusqu’à l’époque où cette conjonction sombre dans l’archaïsme et où l’Académie déclare : “il est vieux” (Dictionnaire de l’Académie française 1694). On propose également l’étude des emplois spécifiques syntaxiques de la conjonction en question dans différents textes littéraires. Le recours aux analyses descriptive, sémantique et fonctionnelle permet de dégager les traits spécifiques de la conjonction ains ainsi que de présenter les conditions dans lesquelles son déclin a eu lieu. On cherche aussi à apporter des éléments de réponse à la question, pourquoi la conjonction, très courante en ancien français, a disparu.
Mots clés: diachronie; archaïsme; conjonction; évolution sémantique; syntaxe

The Semantic and Syntactic Evolution of Conjunctions in French: The Case of ains

Summary. The present study is part of the current of diachronic research on conjunctions. All linguists confirm that in Old French two opposing conjunctions were used: ains / mais. However, in modern French, only one contrast conjunction provides an opposing connection, namely mais. The reasons for the rapid decline of the ains conjunction are not clear, and the time of its disappearance is not precise. In this article, the author focuses on the semantic analysis of ains from Old French until the 17th century, i.e. until the time where this conjunction passed into archaism and when the Academy declared: “it is old” (Dictionary of the French Academy 1694). The study deals with the specific syntactic uses of the conjunction in question in various literary texts. By referring to descriptive, semantic and functional analyses, it is possible to identify specific features of the ains conjunction, as well as to reveal the conditions under which its disappearance took place. The study is also trying to answer the question why this Old French conjunction, very common in the past, disappeared.
Keywords: diachrony; archaism; conjunction; semantic evolution; syntax

Copyright © 2021 Swietłana Niewzorowa. Published by Vilnius University Press.
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1. Introduction

Il est bien connu que les conjonctions forment une classe de mots composite : elles diffèrent considérablement par leurs formes, leurs sens et leurs fonctions. Cette diversité permet d’étudier les conjonctions des points de vue morphologique, sémantique et syntaxique. Mais en fait, ces trois aspects sont étroitement liés entre eux. Les conjonctions de coordination, opposées traditionnellement aux conjonctions de subordination, constituent une catégorie de mots outils très restreinte1 . En première approximation, ce sont des mots tout simples, bien connus, d’un usage courant. Il existe même un point de vue selon lequel une conjonction de coordination est un mot plutôt “vide” qui ne possède qu’une valeur grammaticale et ne sert qu’à joindre des termes de niveaux différents. C’est son rôle quasi exclusif. Or, nous ne partageons pas cette opinion. Toute conjonction de coordination, comme tout mot significatif, est chargée d’une valeur lexicale qui peut être distinguée selon deux aspects, à savoir : paradigmatique et syntagmatique. La valeur paradigmatique est la plus générale : elle caractérise la conjonction en dehors du contexte et sert ainsi de critère qui permet de classer les conjonctions de coordination en copulatives, disjonctives, causales, consécutives et adversatives. La valeur syntagmatique est plus spécialisée : elle se manifeste dans des conditions spécifiques et dépend de plusieurs facteurs (du sens lexical des éléments coordonnés, de leur compatibilité logique et sémantique, des formes affirmatives et négatives du verbe, etc.) qui, à leur tour, relèvent des particularités propres à la langue à une période déterminée de son évolution historique.

Dans l’étude que l’on propose, on focalise l’attention sur une conjonction adversative bien particulière, à savoir : ains. Tous les grammairiens attestent son utilisation courante en ancien français. La conjonction en question fonctionne également en français moyen, bien que sa zone d’emploi se fasse plus restreinte. Mais vers le début du XVIIe siècle, ains passe définitivement de l’usage et sombre dans l’archaïsme. Finalement, ains vieillit dès 1620 et l’Académie déclare en 1694 : “il est vieux” (Dictionnaire de l’Académie française 1694). Dans cet article, on a donc pour but d’analyser de plus près les sens possibles de ains, ainsi que ses emplois spécifiques dans des constructions syntaxiques différentes. Cette étude semble se révéler utile dans la recherche des éléments de réponse à la question, pourquoi cette conjonction, si courante dans la langue ancienne, a disparu.

2. Méthodologie

Pour cette étude, on procède à l’analyse lexicographique, l’analyse sémantique et l’analyse fonctionnelle qui permettent de révéler les caractéristiques spécifiques de la conjonction adversative ains. On recourt aussi à l’analyse comparative afin de dégager les changements qui ont eu lieu dans le système des liens adversatifs à partir de l’ancien français jusqu’au français classique.

3. Ains dans les dictionnaires et grammaires historiques

Les données sur ains2 trouvées dans les sources lexicographiques sont restreintes. Dans plusieurs dictionnaires historiques, cette conjonction adversative n’est point signalée. D’autres références ne possèdent que les caractéristiques les plus générales. Ainsi, dans le Dictionnaire du vieux langage françois, on ne trouve qu’une brève remarque sur l’équivalence de ains à mais (1766 : 17), le Petit dictionnaire de l’ancien français indique que la conjonction ains traduit ‘plutôt, mais’ (1940 : 23), et le Glossaire de la langue d’oïl fait mention de la conjonction ains qui veut dire ‘mais, au contraire, plutôt’ (1891 : 39). Dans Le Dictionnaire de l’ancienne langue française, ains est défini comme une préposition ou conjonction à valeur temporelle ‘avant que’. On ne découvre aucun indice concernant le statut morphologique de ains dans le Dictionnaire des termes du vieux françois qui propose trois ains (ainçois) différents : le premier correspond au mot italien anzi, le deuxième équivaut à au contraire et parfois, à avant que et le troisième est synonyme de plutôt que (1882 : 22). Les informations présentées dans d’autres dictionnaires sont également fragmentaires. D’ordinaire, on y mentionne que ains est issu du latin antius et que cette conjonction ne diffère pas sémantiquement de mais ; elle signifie ‘mais plutôt’ ou ‘mais bien au contraire’, et sert ainsi à traduire une opposition forte. On note ensuite son emploi courant en ancien français, “surtout dans les antithèses dont le premier terme est négatif, pour énoncer le second sous une forme positive” (Dictionnaire de l’Académie française ; Littré Dictionnaire de la langue française ; Dictionnaire du Moyen Français ; Le Trésor de la langue française informatisé).

Les notes sur le terme en question dans les grammaires historiques semblent également insuffisantes. Le mot ains est parfois inclus dans la catégorie des adverbes, parfois dans la catégorie des conjonctions. Par exemple, dans Essai de grammaire de l’ancien français, ainz et ançois sont définis comme des adverbes de temps tirés du latin d’où leur sens de  ‘plus tôt , précédemment’ (1895 : 139). D’ailleurs, on signale au passage leur sens antérieur de ‘mais’. Selon la Grammaire élémentaire de la vieille langue française de L. Clédat, ains et ainçois font partie des adverbes et signifient d’ordinaire ‘avant, auparavant’, bien que quelquefois ils prennent le sens de ‘plus tôt’ ou celui de ‘plutôt’ (Clédat 1887 : 242-243). Avec le sens temporel, les termes en question fonctionnent également comme des prépositions. Or, un peu plus loin, l’auteur parle de l’usage de ains et ainçois en fonction des conjonctions. Dans ce cas, les termes acquièrent le sens de ‘mais’, qu’ils conservent jusqu’au XVIe siècle (Clédat 1887 : 264). L. Foulet dans sa Petite syntaxe de l’ancien français, range ains et ançois parmi les conjonctions de coordination qui n’ont aucune influence sur la forme modale du verbe qu’elles précèdent : “les deux propositions ainsi reliées sont sur un pied de parfaite égalité” (Foulet 1919 : 223). Cette analyse met en évidence que l’on parle généralement du sens global de ains et de ses emplois les plus communs, sans attirer l’attention sur les nuances sémantiques particulières que la conjonction peut acquérir sous l’influence de l’environnement lexical et la structure syntaxique de la phrase.

Avec le XVIIe siècle, c’est le processus de formation de la langue classique qui commence. Les travaux des académiciens et des grammairiens portent sur le purisme afin de rendre la langue “pure” en la débarrassant d’éléments considérés comme inconvenables. Ce phénomène touche directement ains, ce qui se reflète dans les grammaires classiques. Ainsi, Antoine Oudin déclare ains devenu vieil depuis dix ans (Oudin 1640 : 304) ; d’après Chiflet cette conjonction n’est plus en usage (Chiflet 1659 : I24) ; pour Vaugelas, ains n’est rien d’autre qu’un barbarisme (Vaugelas 1647 : 568) ; et Claude Irson remarque que l’emploi de ains pour dire ‘mais’ signale “la faute faite contre la Netteté” (Irson 1662 : I00). On ne découvre pas d’attestation chez A. Arnauld, Cl. Lancelot, T. La Grue, P. de La Touche, D.Vairasse d’Allais. On le voit, ains est condamné au début du XVIIe siècle bien qu’on trouve encore çà et là quelques emplois de cette conjonction. Mais depuis la fin du XVIIe siècle, cette conjonction est qualifiée de datée, de burlesque et n’a plus d’usage qu’en plaisanterie. Pourtant, il semble bien convenable d’évoquer ici un commentaire fait dans les Observations de l’Académie françoise sur les “Remarques” de M. de Vaugelas :

[...] ceux qui condamnent ains, usent en ces phrases-là du mot mais. Toutefois si on le considere bien on trouvera que mais n’est pas assez expressif pour signifier energiquement l’opposition des sujets repugnans, comme fait ains en François, [...] Ce mot mais doit avoir son propre & particulier employ, és exceptions, modifications, & attenuations. Par exemple, [...] il est pauvre, mais homme de bien: il est riche, mais avare: & ains n’y viendroit pas bien au lieu de mais.

On complète ensuite :

Ains est encore fort proprement mis en usage [...] dans les phrases qui signifient exaggeration & rehaussement. Par exemple, si quelqu’un dit, un tel est sage: On peut respondre, ains tres-sage: [...] le terme ains, [...], est employé quelquefois à marquer aussi contrarieté : comme il n’est pas civil, ains rustique ; il n’est pas beau, ains laid. Mais un Philosophe employera en telles locutions au contraire plustost & mieux qu’ains. (Académie 1704)

4. Ains dans les textes littéraires

Compte tenu de ce qui précède, on peut constater que ains subit un déclin considérable lors du passage de l’ancien français au français classique, c’est-à-dire au cours du moyen français. C’est à partir de cette époque que ains commence à être fortement concurrencé par mais qui remplace progressivement cette conjonction-là dans tous ses emplois. Et le Trésor de la langue française informatisé en parle explicitement : “[...] pour sa part, à partir du moyen français, mais empiétera de plus en plus sur ainz [...] qu’il finit par supplanter”.

Il convient de rappeler ici que, dans l’histoire du français, le moyen français est le moins étudié.

Pendant longtemps, il a été considéré en tant que “langue de transition” de l’ancien français au français classique. À cause de cela, on lui imputait de la confusion dans les systèmes morphologique, syntaxique et lexical. Néanmoins, les XIVe et XVe siècles jouent un rôle très important dans l’évolution de la langue française. Depuis cette période, on parle de la création de toutes les conditions préalables nécessaires qui ont permis au français d’acquérir un statut de langue nationale. C’est surtout aux XIVe et XVe siècles que le français commence à s’imposer dans l’administration, le culte, l’enseignement et devient une langue littéraire à part entière. (Niewzorowa 2018 : 82)

Il n’est donc pas fortuit que le moyen français se caractérise par l’épanouissement de divers genres en poésie et en prose : les drames liturgiques apparaissent, les miracles cèdent la place aux mystères, la parution de moralités, farces et soties atteste le développement fécond des genres comiques. Au XVe siècle, la poésie lyrique voit un véritable essor : la production massive de rondeaux, rondels, lais, virelais, ballades, chants royaux commence. La littérature didactique – histoires, chroniques – se généralise. C’est aussi alors que commencent les traductions en français des œuvres importantes de l’Antiquité. Or, les textes littéraires ne reflètent pas de la même façon les processus syntaxiques ayant lieu dans la langue. Et, entre autres, la régression de ains s’y manifeste différemment.

L’analyse de notre corpus met en évidence qu’en moyen français plusieurs écrivains, poètes et traducteurs n’utilisent point ains dans leurs œuvres. Ainsi, la conjonction ains en tant que telle n’existe plus dans les mémoires de Commynes, les traductions de N. Oresme, la poésie lyrique de F. Villon. Le terme en question est également exclu des farces, soties et moralités. Cela s’explique peut-être par le fait que la plupart des genres comiques ainsi que les œuvres de Villon se créent dans le peuple et pour le peuple et traduisent ainsi la langue familière vivante. Cependant, les textes narratifs et descriptifs maintiennent encore fort cette conjonction adversative dans les constructions syntaxiques complexes. Ainsi, dans les chroniques de J. Froissart, J. Molinet, J. Joinville, G. Chastelain ainsi que dans les histoires et nouvelles, l’usage de ains est quasi régulier. De plus, ains tient sa position la plus ferme dans les romans en prose et en vers. Dans Bérinus, par exemple, la fréquence de ses emplois est à peu près la même qu’en ancien français. Avec sa valeur fondamentale, à savoir d’opposition forte : ains est particulièrement courant dans les phrases de “tautologie modale qui se caractérisent par un lien sémantique très étroit entre les propositions coordonnées : la seconde proposition présente, à la forme affirmative, l’idée déjà exprimée à la forme négative dans la première. De telles phrases constituent, comme en ancien français, le principal contexte d’utilisation de ains.

(1) Je ne pot plus aler, ainçois chei. (Chastelain, 61)

(2) Je ne trembloit en nule partie de son cors, ainçois tenoit touz ses membres fichiez et pesibles. (Commynes, 80)

(3) Je n’y vous plus attendre, ains m’en parti. (Bérinus, 235)

En dehors de son sens principal, ains peut aussi introduire l’idée de réfutation ou de rectification-explication.

(4) Ce n’est mie un homme mortel, ains est un deable. (Bérinus, 380)

(5) Il n’osa en nulle maniere demourer a terre ains se fist esquiper en mer. (Bérinus, 324)

Dans les cas où ains sert à coordonner deux subordonnées, la nuance sémantique de restriction apparaît.

(6) Et bien pensoit qu’il n’estoit pas seigneur de ce pais, ainçois estoit le seigneur des nefs. (Bérinus, 40)

Une remarque semble ici nécessaire : les effets de sens mentionnés ci-dessus apparaissent si la conjonction en question met en relation deux propositions dont la première est nécessairement à la forme négative et si deux propositions ont le même sujet. D’ailleurs, ce sujet est habituellement omis dans la seconde proposition.

Bien que l’installation de rapports sémantico-logiques très différenciés entre les propositions coordonnées soit l’une des tendances les plus marquées du moyen français, les valeurs traduites par ains se révèlent moins variées et moins nuancées que celles de mais, qui, outre les sens évoqués plus haut, peut facilement marquer le renforcement, le renchérissement et la concession.

Dès le moyen français, dans la langue apparaissent des phrases à structure asymétrique où la conjonction adversative met en relation le terme non prédicatif et la proposition subordonnée. Les constructions syntaxiques de ce type n’étaient point propres à l’ancien français, mais sont devenues fréquentes en français classique. Mais l’analyse des textes choisis ne nous permet pas de fixer le fonctionnement de ains dans les constructions de ce type. On n’y trouve que mais qui, lui aussi, est soumis à une restriction régulière : il ne joint que les subordonnées relatives et circonstancielles (causales, finales).

(7) Et n’y attendoient ne per ne compaignon mais qui avoit une meilleur cheval. (Bérinus, 118)

(8) Tu le dois faire non pas pour ajouter foy aux dieu et deesses mais pour ce que Notre-Seigneur suel inspire les gens. (Molinet, 21)

L’emploi de ains phatique, c’est-à-dire l’emploi au début absolu de la phrase où il peut servir de marque de transition, indiquer qu’on revient à un autre sujet ou qu’on quitte celui dont on parle, semble être contesté. Dans la position initiale, la conjonction adversative perd ses valeurs habituelles ; elle marque les morceaux de discours hétérogènes. Par exemple, dans les énoncés interrogatifs, la conjonction introduit une interrogation polémique avec la valeur argumentative de la proposition niée, ou, tout simplement, elle sert à renforcer l’interrogation ou à marquer un étonnement. Dans les énoncés injonctifs et exclamatifs, sa fonction consiste à insister ou à marquer l’impatience. Les énoncés déclaratifs introduits par la conjonction marquent le changement du point de vue, une sorte d’opposition entre ce qui est attendu et ce qui se passe en réalité. Dans le corpus étudié, les exemples d’énoncés déclaratifs introduits par ains ne sont pas nombreux. Et on ne les trouve que dans les romans en prose et en vers et, sporadiquement, dans les nouvelles.

(9) Ains me plaist moult. (Bérinus, 106)

(10) Ançois la trouva tout temps rigoureuse. (Nouvelles, 248)

(11) Ainz sera venus le deluge. (Roman de la Rose, 407)

Cependant, nous avons l’idée que les exemples donnés ne permettent pas d’affirmer que le terme en question a le statut de conjonction et n’appartient pas à la classe des adverbes. La raison en est l’inversion du sujet observée dans plusieurs phrases étudiées (comme dans l’exemple 11). Il est bien connu que la conjonction adversative n’affecte pas l’organisation syntaxique de l’unité introduite, alors que l’adverbe requiert souvent l’ordre inversé. De plus, l’omission du pronom personnel en fonction du sujet est de régle en ancien français. Et, finalement, dans les textes analysés, on n’arrive pas à dégager d’énoncés injonctifs, exclamatifs, interrogatifs avec ains, c’est-à-dire d’énoncés où la fonction phatique de la conjonction se manifeste le mieux.

Les recherches effectuées précédemment permettent de constater que la conjonction adversative est fréquemment utilisée pour coordonner deux termes qui peuvent être homogènes ou bien hétérogènes du point de vue de leur nature morphologique et des fonctions syntaxiques. Le plus souvent, ce sont des termes secondaires, comme compléments d’objet, compléments déterminatifs, compléments circonstanciels. Dans ces conditions, la conjonction fonctionne comme un inverseur d’orientation argumentative et marque une préférence, une précision, un renforcement, une rectification, une modification. On dégage aussi les phrases où la conjonction adversative sert à lier deux noms en fonction du sujet. Dans ces cas-là, elle traduit une réfutation ou une restriction. Ces emplois sont d’ailleurs, très restreints. Comme le souligne B.Pottier, la conjonction adversative dénote plutôt les relations de soustraction qui ne sont pas du tout spécifiques à la catégorie de nom, car tout nom dénote le discontinu.

Que peut-t-on soustraire d’une série discontinue si ce n’est des fragments de discontinuité ? Nous avons l’habitude de nombrer le discontinu par entiers (unité/pluralité). De l’unité on ne peut rien retirer sans aboutir à zéro. (Pottier 1962 : 142)

Toutefois, toutes les particularités sémantiques et syntaxiques évoquées ne sont pertinentes que pour une conjonction adversative, à savoir : mais. L’analyse du corpus met en évidence qu’à partir du moyen français ains ne sert plus à joindre des termes. Et bien que l’Académie dise que cette conjonction sert encore à marquer la contrariété en coordonnant deux adjectifs (cf. les exemples dans la section précédente), dans notre corpus constitué de textes de genres différents (mémoires, chroniques, nouvelles, farces, soties et moralités, romans en prose, romans en vers), nous ne trouvons pas d’exemples qui attestent l’emploi de ains à l’intérieur de la phrase simple. On ne peut citer ici que l’exemple tiré de l’œuvre de Régnier :

(12) Digne non de pitié, ains de compassion.

5. En guise de conclusion

L’analyse effectuée nous amène à conclure que vers le début du XVIIe siècle la conjonction ains n’est plus courante et passe définitivement hors de l’usage. Le déclin rapide a lieu pendant le moyen français où l’utilisation de ains est soumise à des restrictions importantes : cette conjonction ne s’emploie que dans les structures syntaxiques bien déterminés et ne relie en principe que deux propositions dont la première est forcément à la forme négative. Son usage dans la phrase simple est très restreint, voire sporadique : il ne peut coordonner des termes hétérogènes pas plus qu’un terme non prédicatif et une proposition subordonnée. Sous l’influence du contexte, ains garde son sens fondamental d’opposition forte qui se complique parfois par les nuances sémantiques de rectification-explication ou restriction. Au début des énoncés, ains peut servir à structurer les parties hétérogènes du discours, mais son statut de conjonction est contesté. Il apparaît ainsi que toutes ces restrictions entraînent une réduction drastique du système des liens adversatifs dans le français. En outre, en français moyen, ains connaît la synonymie “gênante” qui frappe les mots monosyllabiques : “lorsque ces mots appartiennent au même domaine et peuvent être employés dans des contextes ambigus, l’un des deux disparaît” (Perret 2005 : 105). Ains cède donc la place à mais qui commence à assumer tous les emplois de ains dans sa fonction conjonctive. Pour finir, on voudrait citer le Trésor de la langue française informatisé et le dictionnaire Littré :

Ains a péri, la voyelle qui le commence, et si propre pour l’élision, n’a pu le sauver; il a cédé à un autre monosyllabe, et qui n’est au plus que son anagramme [...]. Mais s’il était possible de le faire rentrer dans la langue, cela serait à désirer ; car nous avons parfois des mais qui, s’échelonnant, deviennent fastidieux ; ains se mettrait en place avec beaucoup d’avantage.

Liste des abréviations

Bérinus - Bérinus, Roman en prose du XIVe siècle publié par Robert Bossuat, v. I, Paris : Société des anciens textes français 1931, p. 432

Commynes - Commynes, Mémoires sur Louis XI. Édition présentée, établie et annotée par J. Dufournet, Paris : Gallimard 1979, p. 600

Chastelain - Chastelain G., Chronique de Jacque de Lalain avec notes et éclaircissements par Vaillet de Viriville, Paris : Jannet 1825, p. 271

Nouvelles - Les cent nouvelles nouvelles. Texte revu avec beaucoup de soins sur les meilleurs éditions et accompagné de notes explicatives, Paris : Garnier frères 1885, p. 423

Molinet - Molinet J., Chroniques, publ. pour la première fois d’après les manuscrits de la Bibliothèque du roi par J. A. Buchon, Paris : Buchon 1828, p. 459

Roman de la Rose - Lorris de G. et Meun de J., Le Roman de la Rose. Chronologie, préface et établissement du texte par Daniel Poirion, Paris : Garnier-Flammarion 1974, p. 576

Bibliographie

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Semantinė ir sintaksinė prancūzų kalbos jungtukų raida: ains atvejis

Swietłana Niewzorowa
Ščecino universitetas

Santrauka

Tyrimas, kurį norėtume čia pristatyti, patenka į jungtukams skirtų diachroninių tyrimų sritį. Visi lingvistai pažymi, kad senojoje prancūzų kalboje buvo plačiai paplitęs priešpriešos jungtukų ains/mais vartojimas. Bet šiuolaikinėje prancūzų kalboje priešpriešos ryšį užtikrina tik vienas priešpriešos jungtukas – mais. Neaišku, nei dėl kokių priežasčių sparčiai ėmė nykti jungtukas ains, nei kada tiksliai jis išnyko. Savo ankstesniuose tyrimuose (2018), siekdami išryškinti skirtingus dviejų jungtukų vartojimo atvejus, bandėme ištirti visas sintaksines konstrukcijas su jungtukais ains/mais, vartotas viduriniojoje prancūzų kalboje. Šiame straipsnyje susitelkiama į jungtuko ains semantinės raidos analizę nuo senosios kalbos iki XVII a., t. y. iki laikmečio, kai šis jungtukas jau laikomas archaizmu, o Prancūzų akademija teigia, kad ,,jis yra pasenęs“ (Prancūzų akademijos žodynas, 1694). Taip pat nagrinėjami specifiniai šio jungtuko sintaksinio vartojimo atvejai įvairiuose grožinės literatūros tekstuose. Taikant aprašomąjį, semantinės bei funkcinės analizės metodus, galima nustatyti specifinius jungtuko ains bruožus ir aplinkybes, kuriomis jis išnyko. Taip pat siekiama bent iš dalies atsakyti į klausimą, kodėl šis senojoje prancūzų kalboje labai dažnai vartotas jungtukas išnyko.
Raktažodžiai: diachronija; archaizmas; jungtukas; semantinė raida; sintaksė

Soumis en novembre 2020

1 Dans les grammaires scolaires, les conjonctions de coordination sont énumérées selon la formule mnémotechnique : mais, ou, et, donc, or, ni, car = Mais où est donc Ornicar ?

2 La conjonction en question a également les formes graphiques ainz et ainçois.