Taikomoji kalbotyra, 15: 37–46 eISSN 2029-8935
https://www.journals.vu.lt/taikomojikalbotyra DOI: https://doi.org/10.15388/Taikalbot.2021.15.4

L’innovation lexicale du français dans les interactions médiatisées marocaines

Hicham Mahtane
Université Cadi Ayyad Faculté des Sciences Semlalia – Marrackech / Cadi Ayyad University
mahtaneh@gmail.com

Résumé. La langue française au Maroc s’affirme être un véritable terrain d’investigations et de recherches pour les linguistes et les sociolinguistes. En effet, dans leur pratique dans le « tchat », comme dispositif sociotechnique, les locuteurs “tchatteurs” marocains utilisent un lexique particulier de cette langue sur le plan formel et sémantique sans grand souci de conformité à la norme.
En nous appuyant sur une observation ponctuelle des situations d’échange et nous procédant à une analyse descriptive qualitative, nous avons étudié le néologisme de forme et de sens dans les interactions médiatisées de ces usagers. A travers cette étude, nous avons pu constater une grande diversité d’usage du lexique dans les discours atypiques écrits des “tchatteurs” marocains ainsi qu’une importante liberté d’écriture par rapport aux normes standard. Des pratiques langagières de ces “tchatteurs” témoignent d’une vitalité créative et d’une dynamique néologique.
Il apparaît également que ces pratiques remplissent des fonctions, voire expressives, ludiques et ornementales.
Mots-clés: Interactions médiatisées; néologisme; créativité lexicale; discours écrits

French Lexical Innovation in Moroccan Mediated Interactions

Abstract. The French language in Morocco seems to be an evolving research field for linguists and sociolinguists. In everyday chats, Moroccan speakers use a particular lexicon of French on a formal and informal semantic level without much concern for conformity with standard French.
Based on a one-off observation of exchange situations, we carried out a qualitative descriptive analysis based on studying the form and meaning of neologisms in the mediated interactions of the users. This study demonstrated a great diversity of lexicon use in the atypical written speeches of Moroccan chatters as well as an important freedom of spelling in relation to standard. The language practices of these chatters testify creative vitality and dynamics of neologisms. It also appears that these practices perform expressive, playful, and ornamental functions.
Keywords: mediated interactions; neologism; lexical creativity; written speeches

Copyright © 2021 Hicham Mahtane. Published by Vilnius University Press.
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution Licence, which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original author and source are credited.

1. Introduction

La richesse de la situation linguistique marocaine, avec toutes les ambiguïtés qu’elle ne cesse de provoquer, font d’elle une source inépuisable d’interrogations et de recherches. Tout en restant tranquillement derrière leur écran et en pianotant sur leur clavier, les locuteurs “tchatteurs” marocains entrent en interaction et construisent un parler bilingue ou plurilingue qui intègre l’arabe marocain et le français ou d’autres langues, à savoir l’Amazighe ou l’anglais.

Nous savons qu’une des caractéristiques fondamentales du “tchat” est la variété impressionnante de formes graphiques, morphosyntaxiques et nous ajoutons qu’une créativité lexicale est extrêmement riche. Une des particularités principales de ce dispositif sociotechnique est l’apparition de multiples phénomènes d’une manière simultanée. Dans cette perspective, le lexique reste le domaine de la langue le plus instable. Ainsi, les locuteurs “tchatteurs” marocains font preuve d’une grande capacité de créativité. Ils approuvent leur génie dans la débrouille en mixant différents éléments linguistiques et prouvent leur liberté de créer leur propre langue.

Le présent article se propose d’examiner l’usage du français, dans son aspect lexical, par les internautes marocains dans les boîtes de discussion ou de conversation à travers messagerie et autres espaces de dialogue tels que les “tchats”.

Nous essaierons donc de montrer comment les marocains en ligne insèrent et utilisent des expressions en français avec des pratiques lexicales innovantes dans leurs interactions. L’étude des manifestations et enjeux concrets de ces pratiques particularisantes nous semblent dignes d’intérêt. De ce fait, nous tenterons à répondre à plusieurs questions à savoir :

Comment fonctionnent ces pratiques lexicales dans les conversations des Marocains en ligne ?

Les expressions fabriquées par ces “tchatteurs” subissent-elles un changement de sens ?

Quelles fonctions ces usages du lexique remplissent- ils ?

Ces questions s’inscrivent dans le vaste domaine de la sociolinguistique et reposant sur l’idée que l’étude des pratiques langagières d’un groupe donné permet de cerner le fonctionnement de la parole dans le cadre interactif de cette communauté virtuelle marocaine. Pour répondre à ces questions, nous décrivons tout d’abord les éléments du statut, c’est-à-dire ce qui caractérise les langues sur le plan institutionnel. Nous examinons ensuite le corpus et son contexte sociolinguistique, et enfin nous observons les formes linguistiques proprement dites à travers l’analyse des données recueillies, ce qui nous permettra, enfin, de les analyser comme des manifestations de la dynamique du français.

Notre hypothèse est que ces multiples faits témoignent d’un usage individuel des expressions en français et, partant, qu’ils peuvent être révélateurs d’une certaine identité des usagers.

2. Méthodologie

Le langage du “tchat”, comme un moyen d’expression immédiate, consiste à faire passer un message en un minimum de mots et qui possède ses propres règles, présentes dans la Nétiquette1.

C’est un langage pouvant être décrit comme un écrit oratoire (on va jusqu’à employer le terme “parlécrit”) complexe. Il compose en effet à la fois d’un mélange de lettres, des abréviations, d’onomatopées (hahaha, pff…), de sigles et d’ellipses. Il est basé sur des mots de phonétique et des raccourcis français ou anglais. Tout cela, dans le but de communiquer rapidement.

Voici une phrase à l’orthographe bizarroïde : En langage du “tchat” : “slt cav ? j suis un chatteur kiceki qui comprend ?» Traduction : “salut, ça va ? Je suis un chatteur, qui est-ce qui comprend ?”

Afin de recueillir les données au cours des interactions des pratiquants du “tchat”, nous nous sommes appuyé sur des observations ponctuelles des situations d’échanges. De façon générale, notre méthodologie s’inscrit dans le cadre de la sociolinguistique interactionnelle. Un travail qui est fondé dans un premier lieu sur une méthode d’observation. Durant toute l’étape d’observation, nous avons prélevé tous les messages qui nous ont permis, par la suite, de construire plusieurs échantillons qui nous ont servis, en fin de compte, à composer notre corpus final. Pour ce qui est de l’analyse des données, nous nous sommes inspiré de l’ethnographie de la communication pour adopter une approche micro sociolinguistique, qualitative et non quantitative. Ainsi, notre approche d’analyse est à la fois descriptive, dans la mesure où nous faisons la description des unités lexicales, et interprétative puisque le but de cette étude est de comprendre et d’expliquer le comportement langagier des Marocains en ligne.

3. La présentation du corpus

Le corpus sur lequel est basée cette étude est tiré de conversations spontanées dans des espaces de discussion communs, à savoir Facebook, Tchat95, Yabiladi.com, Maroc free. Sa constitution, d’où sont tirés les fragments présentés dans le cadre de cet article, ne concerne essentiellement que des marocains. L’enregistrement a été réalisé par la méthode dite de la capture d’écran, et représente au total une cinquantaine d’heures de dialogue. Notons que la production brute des interactions est l’objet même de l’analyse. (Afin de faciliter la lecture des extraits ici reproduits, nous avons procédé parfois à la coupe des échanges secondaires ; le cas échéant nous signalerons cette coupe par les signes « […] », chaque fois que plus d’un énoncé extérieur aura été sacrifié).

Pour la transcription de notre corpus, nous utiliserons un système de transcription orthographique qui tiendra compte de certains phénomènes de prononciation. Dans l’élaboration de Notre système detranscription, nous nous sommes fortement inspiré de celui proposé par Abderrahim Youssi (1992).

Il est aussi à noter que pour faciliter le travail du lecteur francophone, nous avons traduit vers le français tous les segments identifiés de l’arabe marocain. Cette traduction concerne les extraits présentés dans le corps de cette recherche.

4. Les langues en usage

Le Maroc est le pays le plus occidental des états du Maghreb. Il a toujours été, de par son histoire, une nation de partage : partage culturel d’abord mais surtout partage linguistique grâce à divers facteurs : échange culturel et économique. C’est un pays de coexistence, de tolérance et de richesse culturelle et linguistique. A l’instar des pays du Maghreb, son paysage linguistique présente les caractéristiques d’un pays plurilingue où chaque composante a des fonctions différenciées et inégales. Une diversité linguistique caractérise la situation des langues au Maroc.

En effet, ce qui frappe l’observateur des pratiques langagières des locuteurs marocains c’est la complexité de cette situation : situation rendue complexe par la coexistence, la juxtaposition et l’interpénétration de plusieurs langues ou de plusieurs variétés linguistiques, voire la présence des langues nationales ou locales, l’arabe standard et marocain, l’Amazighe, et des langues étrangères, le français, l’espagnol et l’anglais:

L’arabe sous sa forme classique et moderne, l’arabe marocain avec ses différents parlers, l’Amazighe avec ses trois variantes (le rifain, le tamazight, le tachelhit). Les langues étrangères dont certaines, particulièrement le français et l’espagnol, se sont imposées dans le champ linguistique marocain depuis la colonisation. D’autres, surtout l’anglais qui a un statut supérieur par rapport à l’espagnol, ont eu un caractère de nécessité dans certains secteurs de la vie sociale, précisément ceux de la formation, de la technologie, de l’économie et des affaires.

5. Contexte de recherche

La présentation du groupe de personnes rencontrées au cours du «clavardage» virtuel revêt, dans le cadre de ce travail, une apparence particulière puisque celles-ci sont de différentes régions. L’analyse porte sur des sites de “tchat” et des forums de discussion accessibles à partir du Net. Ces sites se présentent comme le portail de la diaspora marocaine. Le “tchat” ou les forums publics de discussion sont très nombreux sur Internet. Ils permettent aux internautes des quatre coins de la planète de s’exprimer sur un sujet, de partager leurs connaissances. Les messages ou articles publiés dans les forums sont des écrits synchrones et asynchrones.

Dans un contexte virtuel, les messages s’affichent sur l’écran dans l’ordre de l’envoi et le dispositif n’offre aucune option qui permettrait de poursuivre un fil de discussion. A cette désorganisation apparente s’ajoutent souvent la futilité et la banalité des contenus. Pourtant, les personnes connectées ne disposent que de ces éléments, affichés sur leurs écrans, pour entrer en contact les unes avec les autres et développer leurs échanges.

Le dispositif de “tchat” ou bavardage en ligne qui a retenu notre attention a constitué une source intarissable pour la construction de notre corpus. Le choix des sites de “tchat” et de forums de discussion comme support de sujet d’étude se justifie par le fait que ces sites représentent un espace de rencontre virtuelle, mais aussi un endroit où les internautes parlent les langues qu’ils veulent.

6. Formes et usages linguistiques

La langue est souvent caractérisée comme ayant trois composantes interdépendantes : le contenu, la forme et l’utilisation (Bloom & Lahey 1978)2. Le contenu se réfère au sens de la langue, la forme se réfère à la structure de la langue, et l’utilisation se réfère à la façon dont les locuteurs choisissent des formes différentes qui correspondent le mieux au contexte de communication.

La communication médiatisée des Marocains mobilise de nouvelles formes conversationnelles et de nouvelles pratiques d’utilisation du code linguistique. Le signifiant est infecté pour construire, par exemple, des éléments préexistants, par dérivation, abréviation, composition, cryptonymie et le signifié est infecté pour produire les phénomènes de changement de sens. Les spécialistes distinguent la néologie de forme (ou néologie lexicale) et la néologie de sens (ou la néologie sémantique) dont la fonction est de dénoter une réalité nouvelle. Selon J. Dubois (1994 : 322) :

La néologie de forme consiste à fabriquer de nouvelles unités, alors que la néologie de sens consiste à employer un signifiant existant déjà dans la langue considérée en lui conférant un contenu qu’il n’avait pas jusqu’alors – que ce contenu soit conceptuellement nouveau ou qu’il ait été jusque-là exprimé par un autre signifiant. Somme toute, les néologismes créent souvent :

a. De nouvelles formes et nouveau sens (l’apparition de nouveaux objets ou de nouveaux concepts).

b. Un nouveau sens pour une forme existante (le sens de l’adverbe « trop » – l’idée d’excès – maintenant – très).

c. Une forme nouvelle pour un sens ancien.

Les deux procédés de néologisme de forme et de sens donnent lieu à de nombreuses innovations terminologiques dans l’arabe marocain et le français comme l’ont démontré de nombreux travaux en sociolinguistique. L’examen de notre corpus rend compte de la présence de ces deux types de néologisme, que nous soulignons pour mettre en évidence.

6.1. Néologisme de forme

Un des procédés, le plus productif de la néologie lexicale, est le néologisme de forme. Il signifie les mots formés à l’intérieur d’une même langue à partir de mots existants. L’innovation est donc inhérente à chaque langue et elle représente un aspect sur lequel les linguistes ont mis moins

l’accent. Citons quelques exemples pour illustrer notre propos :

Exemple 1 (Yabiladi.com) :

[…]
mouldetaile: sdyao2001 aller fai moi papiers stoupliiiiiiiii

Transcription : Stupli/ Traduction : [S’il te plait]
[…]
[...]
sdyao2001: mouldetaile quel papiers […]
sird.pdf mouldetaile: pour aller etranger faire boucoup argent sdyao2001sypsena.png
[…]
sdyao2001: pk tu ne travail pas mouldetaile

Certaines tranches de la population sur le “tchat” adoptent de nouvelles tendances et intègrent de nouveaux mots à leur vocabulaire. Ainsi, l’expression figurée dans l’énoncé de Mouldetaile, à savoir (stoupliiiii) qui résulte de « s’il te plait », obéit à la création lexicale, relève du néologisme de forme, lequel consiste à créer un signifiant nouveau pour un signifié. Il s’agit d’une forme de déviation graphique qui se réalise dans les interactions médiatisées. Il importe de mentionner que ce participant recourt à un ludisme linguistique. C’est le cas de la majorité des “tchatteurs” qui font preuve d’une grande capacité de créativité en pratiquant un jeu de langue ou de mots.

De cela, les interactants livrent quelques innovations lexicales imputées à certains groupes des mots conjuguant pour la plupart le français comme matrice innovante.

L’usage que fait le “tchatteur” prénommé Mouldetailedu mot (stoupliiiii) est un jeu informel, gratuit pour le plaisir de l’exercice. Le jeu avec ce mot est un divertissement et c’est un usage langagier propre à servir ses intentions.

D’ailleurs, les locuteurs et les interlocuteurs “tchatteurs” sont des communicateurs polyvalents. Les moyens dont ils disposent et qu’ils utilisent pour communiquer sont innombrables et ils ont à leur disposition une masse imposante d’information. L’utilisation des mots, des expressions qu’en font ces pratiquants a de multiples facettes. Ils s’adaptent en permanence à ces innovations lexicales, dont le choix et la disponibilité varient. Cela suppose une certaine influence exercée sur l’ensemble des utilisateurs. Leur usage du français reste particulier et approprié au contexte du dispositif sociotechnique le “tchat”. En effet, les participants utilisent des lexies auxquelles ils vont faire subir ou ne pas faire subir des changements sémantiques.

Les messages électroniques se caractérisent par l’apparition d’une graphie nouvelle dans un même cadre phonologique. Leurs caractéristiques manifestent une correspondance entre un signifiant déjà existant dans la langue et une nouvelle représentation graphique de ce signifiant dans le discours.

Dans les interactions qui nous intéressent, le détournement orthographique est fortement fréquent et se présente dans une alternance intra-phrastique sous de multiples formes notamment des simplifications phonétisantes. Les exemples qui suivent donnent une idée de l’ampleur de ce phénomène dans les discours d’internautes :

Exemple 2 (Tchat95)

[...]
[02:23:54] <Bram>mchiti m3a fellane [02:24:06] <princess> non [02:24:12] <Bram>makanch 3andk rondifo
Transcription
: / makanš εandak rundifu / Traduction: [Tu avais un rendez-vous ?]

Ce qui est à retenir ici, c’est que la forme orthographique (rondifo) est d’une grande diffusion dans le “tchat”. C’est une nouvelle graphie qu’on appelle une phonécriture pour un signifiant déjà existant dans la langue française. Autrement dit, le mot est écrit d’une nouvelle manière qui ne correspond pas aux règles orthographiques habituelles de cette langue. D’autres réalisations remarquables du détournement orthographique sont celles des énoncés suivants en mélangeant l’arabe marocain et le français :

Exemple 3 (Facebook)

[…]
kwiko06: kantisghirdik sa3ate samad_the_best :wayih aller pock
- Transcription: / wayih alepuk/
- Traduction: [Oui à l’époque]
[…]
didou.mohcin:
جادوغ
- Transcription: / žadu&/
- Traduction: [J’adore.]
[…] Navale99 : j’adough

Nous savons que les supports modernes de communication ont des formes d’écriture particulières variables et spécifiques sur le plan orthographique. Nous pouvons constater que (allez pock, j’adogh) sont massivement employés dans les écrits sur supports modernes, ce qui en fait une sorte d’emblème par leur omniprésence inhabituelle et particulière dans des discours écrits du français.

Enfin, Nous pouvons relever des formules atypiques, qui subissent une arabisation, telles que (kring_1.pdf). Il ne s’agit pas de termes spécifiques aux écrits sur supports modernes mais d’usages spécifiques nouveaux à l’écrit. L’observation des sites nous amène à constater que les “tchatteurs” marocains pratiquent l’arabe marocain et rarement l’arabe standard et écrivent leurs messages dans un alphabet latin alors que d’autres communautés linguistiques (comme l’Egypte, les Emirats Arabes-Unis) écrivent dans un alphabet arabe. Cependant, ces pratiquants créent ou reproduisent de nouvelles formes du français (lettres, chiffres,) comme le montre l’exemple sus- cité.

6.2. Néologisme de sens

Le néologisme de sens est une source importante de l’évolution du lexique. C’est une dynamique langagière qui peut se concevoir à la fois comme une manifestation de la variation et de la diversification de la langue, et comme une preuve de l’appropriation de cette même langue par des locuteurs non natifs. Le rôle des néologismes est d’enrichir et de moderniser le vocabulaire pour les besoins de dénomination, d’expression et de communication (Lerat, 1995 : 132).

Il arrive qu’un nouveau signifié naisse dans un même cadre phonologique. Autrement dit le signifié nouveau est associé à un signifiant préexistant. Alors un mot prend en général plusieurs sens. C’est le cas de l’exemple suivant :

Exemple 4 (Maroc free) :

[……..]
<DeCaza>bnadm ma7amlnach
<Mannish`> ah npassiw lih chi msg ? DeCaza>blach khlini tanstyli 3lih bstylo
- Transcription: / blaš xlini tanstili εlih b stilu/
- Traduction: [Ce n’est pas la peine, laisse-moi lui écrire avec un stylo?]

Dans cet exemple, le glissement sémantique repéré réside dans le terme (nastili). C’est un mot emprunté qui est composé d’un pronom personnel sujet (n) : “je” qui se combine directement au thème verbal, la base verbale et l’affixe renvoyant à la première personne du singulier : - “na” (pronom personnel je) + styli (la base verbale).

Cette base verbale qui veut dire « écrire » est issu d’un verbe du français « styler » (former, dresser, habituer). Nous remarquons que son emploi ne convient pas au contexte. Dans cette perspective, la néologie de sens se manifeste par le déplacement du sens courant au sens particulier, contextuel et local. (Boulanger 2001 : 31) affirmera :

Plus une langue s’étend diatopiquement, plus elle s’éloigne de son foyer primaire, plus elle se différencie de ses structures grammaticales et syntaxiques, plus les divergences phonologiques sont repérables et plus son lexique s’accommode et se particularise sous l’effet d’influences multiformes sans pour autant créer de rupture avec la source, avec le lieu d’émergence.

Exemple 5 (Maroc free) :

[ …]
<DeCaza> je cherche une derrya tkoun bomba
- Transcription: / Je cherche une driya tkun bomba/
- Traduction: [Je cherche une belle fille]
<Mannish`>LMouJR|Me ,shitabaclahi 3fo 3lek , :)) ?
<DeCaza> je cherche une derryatkountattiiiiiiiiiiiiiir
<BouLbaDer> 3andk w9iida
<Mannish`> !seenBobwest
<Guest_696> quelle age a t ell

Dans cet exemple, nous avons affaire à un lexème qui se voit attribuer un nouveau sens.

«Bomba» qui est un emprunt du français et qui se retrouve modifié et connote dans la réalité des jeunes marocains la fille à beauté extrême.

L’usage que font les locuteurs “tchatteurs” marocains reste particulier et approprié au contexte du “tchat”. En effet, ces locuteurs utilisent des lexies auxquelles ils subissent des changements sémantiques. Le processus mis en œuvre est principalement le transfert de sens. De même, les mots «zoufri» et «zwafriya» dans l’exemple suivant, (ouvrier) et (ouvriers) en français connote le(s) célibataire(s) en arabe dialectal:

Exemple 6 (Yabiladi.com) :

[…]
sphainx:khalila syps_2.pnglol tu le mérite sdyao2001: bOua_3omAr koi pikalaa alabinas:alareda je suis tjrs là lollata zoufri?
acmilano_1: foug_chajra oui khay ilatelefti chebar ared akhaysyps_2.png berradamya: merci de me donner des nouvelles d’un ami aladinaikon-201 : Oui bien sûr alabinas w ntouma zwafriya?

Ces termes empruntés sont intégrés dans la morphologie lexicale du système de la langue d’accueil qu’ils sont considérés comme mots étrangers mais ils font partie de la langue de tous les jours au point où les locuteurs n’ont plus la conscience d’utiliser un mot français.

Enfin, nous pouvons remarquer qu’un certain nombre de termes sont utilisés en décalage normatif par rapport au français standard, et que le lexique des participants dans le “tchat” peut être utilisé de façon polyvalente dans leurs discours. Les écrits sur supports modernes présentent donc une dynamique nouvelle du langage des “tchatteurs” par ce passage de l’oral à l’écrit d’un terme, et non l’inverse.

7. Conclusion

La préoccupation qui était la nôtre dans cette communication était d’étudier l’innovation lexicale dans les interactions médiatisées marocaines, et de voir comment, à travers leur pratique se laissent découvrir quelques pans identitaires et une façon de parler.

A la lumière de cette contribution, nous constatons que les “tchatteurs” marocains utilisent un lexique varié de manière assez mouvante. Différentes stratégies expliquent ces usages particuliers : l’expressivité, la proximité, le ludisme ou l’ornementation. Leur comportement langagier est considéré comme constant et rationnel, en ce sens qu’il s’oriente vers une finalité en usant de langues appropriées pour atteindre cette fin. De fait, néologisme de forme et néologisme de sens peuvent logiquement se justifier par le contexte informel de réalisation de ces interactions médiatisées, constituent en même temps autant de manifestations de la dynamique langagière révélatrice d’une manière d’être, d’agir, de réagir et d’interagir.

Au vu de ce qui vient d’être développé nous pouvons affirmer que :

L’innovation lexicale du français est réellement un phénomène langagier dont l’intérêt consiste à rendre la communication plus souple et plus flexible.

Ces pratiques langagières de nos « tchatteurs» sont la conséquence de la réalité du paysage linguistique marocain connu par sa diversité linguistique.

Les « tchatteurs» marocains manifestent une certaine distanciation, un certain écart par rapport à la norme exogène du français en constituant le point de leur ancrage identitaire.

Enfin, nous sommes arrivé au point final de notre parcours à l’enceinte du monde virtuel de la communication. Cette étude sur l’innovation lexicale du français dans les moments cruciaux de la conversation fut pour nous bien passionnante. Nous soulignons que notre réflexion sur cet aspect du langage dans les interactions médiatisées, ne peut être close.

Bibliographie :

Bloom, L., et Lahey, M. 1978. Language Development and Language Disorders. New York: Wiley, Print.

Boulanger, J.-C. 2001. La francophonie : une norme, des normes, un dictionnaire, des dictionnaires ? Variations et dynamique du français. Une approche polynomique de l’espace francophone. Laroussi F., Babault, S. (eds.). Paris: L’Harmattan. 29–50.

Dubois et al. 1994. Dictionnaire de linguistique. Paris: PUF.

Lerat, P. 1995. Les langues spécialisées. Paris: PUF.

Youssi, A. 1992. Grammaire et lexique de l’arabe marocain moderne. Casablanca: Wallada.

Annexe :

Phonèmes consonantiques et vocaliques

B ﺐ labial (b / d) - non nasal - (b / m) - sonore (b / f)

f ﻒ labial (f / s) - non nasal - (f / m) - sourd (f / b)

m ﻢ labial (m / n) - nasal (m / b)

(d/ t) ﺪ apical (d / b) - non emphatique (d / d) - non nasal (b / n) - sonore

(d /t) ﺖ apical (t / f) - non emphatique (t / t) - non nasal (t / n) - sourd (t / d)

r/r ﺮ apical (r / &) - vibrant (r / d) - non emphatique (r / r)

n ﻦ apical (n / m) - nasal (n / d)

z ﺰ sifflant (z / ž) - non emphatique (z / z) - sonore (z / s)

s ﺲ sifflant (s / š) - non emphatique (s / s) - sourd (s / z)

ž ﺝ chuintant (ž / z) - sonore (ž / š)

š ﺶ sourd (š / z)

dˤ ض apical (d / k) - emphatique (d / d) - sonore (d / t)

t ﻄ apical (t / s) - emphatique (t / t) - sourd (t / d)

s ﺺ sifflant (s / t) - emphatique (s / s) - sonore (s / z)

k ﻜ palatal (k / t) - sourd (k / g)

& ﻍ vélaire (& / r) - sonore (& / r)

x ﺥ vélaire (x / r) - sourd (x / &)

q ﻖ vélaire (q / g) - occlusif (q / &)

ε ﻉ pharyngal (ç / h) - sonore (ç / ħ)

ħ ﺡ pharyngal (ħ / h) - sourd (ħ / ç)

h ﻩ glottal (h / ħ) - continu (h / ?)

l ﻞ latéral (l / r)

ə - muet ou schwa

y ﻱ palatal (y / w)

w ﻮ labio-vélaire (w / y)

? ﺃ glottal (? / q) – occlusif (? / h)

Leksinės prancūzų kalbos inovacijos skaitmeninėse marokiečių interakcijose

Hicham Mahtane
Cadi Ayyad universitetas

Santrauka

Prancūzų kalba Maroke yra palanki terpė tiek lingvistiniams, tiek sociolingvistiniams tyrimams atlikti. Iš tiesų bendraudami internetu, kaip socialine-technine priemone, Maroko internetinių pokalbių dalyviai naudoja tiek formos, tiek reikšmės požiūriu savitą prancūzų kalbą, nekreipdami dėmesio, ar ji atitinka normą.
Reguliariai stebėdami susirašinėjimų situacijas ir vykdydami kokybinę aprašomąją analizę, skaitmeninėse dalyvių interakcijose aptikome formos ir prasmės neologizmų. Tyrimas leido konstatuoti, kad netipiniams rašytiniams Maroko internetinių pokalbių dalyvių diskursams būdinga didelė leksikos įvairovė ir akivaizdus rašytinės kalbos normų nepaisymas. Kalbinės Maroko internetinių pokalbių dalyvių praktikos pasižymi gyvybingu kūrybiškumu ir naujažodžių sudarymo dinamiškumu.
Akivaizdu, kad tokios praktikos atlieka įvairias funkcijas, įskaitant ekspresinę, žaidybinę ir ornamentinę.
Raktažodžiai: skaitmeninės interakcijos; naujažodis; leksinis kūrybiškumas; rašytiniai diskursai

Soumission le : 17 Janvier 2021

1 La Nétiquette ou « l’étiquette du Net » est l’ensemble des règles de courtoisie qui régissent de l’Internet. Elles sont fondées autant sur le savoir-vivre et le respect d’autrui que sur les lois en vigueur.

2 Le modèle socio-interactionniste de Bloom et Lahey est un modèle du développement du langage qui consiste en une approche centrée sur les trois composantes langagières : La forme, le contenu et l’utilisation.